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qui a fait pousser des cris à quelques vertueux feuilletonistes, et qui est pourtant le seul moyen honorable de dénouer le drame et d’en finir avec son affreuse héroïne. Loin d’être scandaleux et criminel, ce coup de pistolet est légitime et moral ; c’est l’acte d’un honnête homme qui se trouve par malheur juge et partie dans sa propre cause, et dont le sentiment de justice est révolté par un impudent défi. Loin de blâmer le vieux marquis, on aurait plutôt envie de lui tendre la main. Je ne sais quel écrivain a osé dire qu’il était digne des galères ; je trouve au contraire qu’il mérite l’estime de toutes les honnêtes gens. Le Mariage d’Olympe méritait de réussir, il a échoué ; mais ce n’est pas une raison pour que M. Augier s’écarte de la voie dans laquelle il était enfin entré.

Il continue d’y marcher, avec timidité, avec hésitation, il est vrai ; mais il a tort, et le succès récent de la Jeunesse doit l’engager à persister. Le sujet de sa nouvelle comédie est pris dans la réalité des mœurs contemporaines. La donnée en est vraie, simple, poignante. L’auteur a donné à sa pièce le titre de comédie ; il aurait dû plutôt lui donner le nom de drame, car il n’y a rien de bien gai dans les lâchetés et les ridicules qu’il a mis en scène. Tout tourne au drame dans l’époque bienheureuse où nous vivons, même nos ridicules, et nos défauts sont plutôt faits pour attrister que pour égayer. Le génie le plus comique s’épuiserait en inutiles efforts pour divertir aux dépens du défaut en vogue aujourd’hui, l’amour du luxe et des apparences trompeuses. Qui oserait faire rire avec tout ce que cette mode funeste contient de hontes, d’humiliations secrètes et d’économies sordides ? Le spectacle de cette chasse à l’argent, où les hommes se poussent, se foulent aux pieds sans pitié et tombent déshonorés, est fort ridicule sans doute, mais il est encore plus émouvant. Le cœur n’a pas précisément envie de s’épanouir lorsqu’on voit un jeune homme enlevé au sortir de l’adolescence par la fatalité des mœurs contemporaines, avec la brutalité d’un pirate barbaresque en quête d’esclaves, et jeté dans l’armée meurtrière des intérêts pour y combattre et y gagner comme un gladiateur une existence misérable. Rien n’est plus vrai que la donnée de la pièce de M. Augier. Le jeune homme, en l’an de grâce 1858, est condamné à acheter sa vie au prix de son âme, comme le soldat mercenaire au prix de son sang. S’il veut être jeune, il ne le sera pas impunément. S’il veut rêver, penser, aimer, quel temps lui restera-t-il pour faire son chemin dans cette société où tout est si accessible en apparence, où tout en réalité est hérissé de barricades, entouré de palissades, défendu par d’épais remparts ? Le temps n’est plus où l’en pouvait dire que la vie est un songe : la vie aujourd’hui est une réalité sérieuse sans grandeur, dangereuse