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Ciguë ; tantôt il essaie de ranimer les masques comiques de l’ancien théâtre, l’Aventurière ; tantôt enfin il prend pour sujet d’une comédie un gracieux sujet de fabliau ou de conte de fée, Philiberte. Il réussit, cela est incontestable, et cependant, qu’il me permette de le lui dire, en dépit du succès obtenu, la comédie de fantaisie n’est pas faite pour lui. Il faut laisser ces choses-là à Shakspeare, ou, pour prendre un nom plus modeste et plus près de nous, à Alfred de Musset. Il faut, pour réussir dans la comédie de fantaisie, un emportement dans la grâce, une verve de rêverie que le poète de la Ciguë ne possède pas. Sa nature et son talent le portent au contraire vers l’étude et l’observation de la réalité. La réalité, voilà son vrai domaine, qu’il néglige pour courir après des mirages chimériques. Les scènes excellentes et justement applaudies de ses comédies de fantaisie devraient cependant lui ouvrir les yeux sur la nature de son talent. Prenons l’Aventurière par exemple, la plus parfaite, à notre avis, de ses comédies de fantaisie. Quel est le personnage important de la pièce ? Ce n’est pas son Cassandre : il n’est pas assez barbon, assez ridicule assez grotesque, assez berné. Pour être un type de fantaisie, il lui manque cette extravagance qui fait du vieux mari, dans les Caprices de Marianne, un personnage si amusant. Ce n’est pas son matamore : il n’est ni assez gai, ni assez tapageur. Ce n’est pas son aventurière : elle n’est ni assez coquette, ni assez folle. Le personnage important et intéressant est le seul qui ne soit pas un masque et qui soit pris dans la réalité : c’est Fabrice, le jeune homme de trente ans revenu des longues aventures, désenchanté, sceptique, cynique, sans illusions, et n’ayant conservé d’intacts que les grands et vrais sentimens primitifs du cœur humain. Et quelle est la scène capitale de l’Aventurière ? C’est encore celle qui nous ramène le plus près possible de la réalité, celle où Fabrice, jusqu’alors simplement froid et rusé, éclate tout à coup en entendant prononcer le nom de sa mère par doña Clorinde. Que M. Augier nous en croie : il est fait pour la bonne et franche comédie, pour l’observation de la vie réelle, et cependant il n’ose pas aborder franchement la réalité. Une seule fois il l’a osé, une seule fois il a été hardi, et sa hardiesse n’a pas été couronnée de succès. Nous voulons parler du Mariage d’Olympe. Le public, qui cependant avait applaudi quelque temps auparavant je ne sais quelles filles de marbre, lui a donné tort ; mais on peut appeler du jugement du public, qui cette fois a été tout à fait injuste envers l’auteur. Rarement le poète a aussi complètement réussi, et jamais ses allures n’ont été plus libres. Tout le monde a blâmé ce drame ; pour moi, j’en fais très sincèrement mes complimens au poète. J’en approuve tout : les caractères, le style, l’action, la morale, tout ; jusqu’à ce fameux coup de pistolet