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français ; l’auteur, Jean de Lannel, ne le dissimule guère. Dans un Avis au lecteur intitulé le Secret du Romant satirique, il s’exprime ainsi : « Si on dit que je ne sais pas l’antiquité, puisque j’appelle prêteurs ceux qui en Galatie sont juges de l’honneur des gentilshommes et généraux des armées, je maintiens que préteur, en langage galatien, veut dire maréchal de France en langage françois. Si on dit qu’il n’y a point d’empire de Galatie, et qu’on ne connoît ni Galatie ni Galatiens, j’annonce que c’est un pays nouvellement découvert, etc. » Aussi la Bibliothèque historique de la France n’hésite-t-elle pas à affirmer que ce roman est une satire des règnes d’Henri IV et de Louis XIII[1]. En 1647, Florigénie ou l’Illustre victorieuse est incontestablement l’histoire des amours et du mariage du chevalier de Chabot et de Marguerite de Rohan, la fille du grand duc Henri. À peu près vers le même temps, les prétendues amours de Mme de Longueville et de Coligny, et le duel malheureux de celui-ci avec le duc de Guise, avaient diverti la cour et les salons sous le voile transparent d’une nouvelle que nous avons découverte et publiée, Agésilan et Isménie[2]. Il n’est donc pas étonnant que Mlle de Scudéry ait eu la pensée de mettre aussi en roman la société où elle a vécu, cette société à la fois héroïque et galante, passionnée pour toutes les gloires, riche en admirables caractères et en talens merveilleux, et qui devait laisser un souvenir ineffaçable dans la politique et dans la guerre, dans la religion et dans la philosophie, dans l’éloquence et dans la poésie, dans toutes les sciences et dans tous les arts.


Deux fois Mlle de Scudéry a entrepris de peindre la société de son temps sous des noms étrangers : la première fois dans le Grand Cyrus, la seconde dans Clélie.

Ces deux romans sont évidemment de la même famille, mais ils diffèrent encore plus qu’ils ne se ressemblent. Le Cyrus, malgré des défauts que nous ne dissimulerons pas, est encore le modèle du genre : la Clélie en est l’excès et l’abus. Le Cyrus avait répandu le goût du roman historique au-delà de la juste mesure, comme il arrive toujours ; la Clélie l’a décrié et l’a fait périr dans le ridicule.

Un vice essentiel gâte la Clélie jusqu’en ses meilleures parties : la scène du roman est à Rome ; les héros et les héroïnes en sont des Romains et des Romaines que tout lecteur instruit connaît, et auxquels l’histoire donne des caractères déterminés, devenus des types qu’il n’est pas possible de changer sans faire violence à toutes les habitudes et pour ainsi dire à tous les préjugés de la mémoire et

  1. Voyez aussi les Mémoires de l’abbé d’Artigny, t. VI, p. 44-49.
  2. La Jeunesse de madame de Longueville, ch III.