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la maison d’un paysan parce qu’elle gênait son avenue : telle est la différence des temps. Dans l’Eure, c’est encore un propriétaire, M. de Beausse, qui l’a emporté ; retiré du service militaire depuis 1842, il n’a cessé de résider avec sa famille dans un domaine de 145 hectares qu’il a singulièrement amélioré, tout en n’y consacrant qu’un modeste capital de 30,000 fr. Dans la Meuse, c’est un fermier, M. Jacques, qui a eu le prix pour de beaux travaux de drainage.

Dans Seine-et-Marne, le jury a porté à peu près sur la même ligne trois cultivateurs, MM. Chertemps, Dutfoy et Giot. On s’est tiré d’embarras en demandant la croix d’honneur pour le premier ; le second a eu la prime, et le troisième rien ; mais la Société centrale d’agriculture vient de le dédommager de son mieux en lui décernant sa grande médaille d’or. Dans le département de l’Indre, un fait du même genre s’est présenté. On a donné la croix d’honneur à M. Crombez, riche propriétaire qui a entrepris un vaste cours d’améliorations dans la terre de Lancosme en Brenne, d’une étendue de 5,750 hectares, et la prime d’honneur à un cultivateur du pays qui exploite un domaine beaucoup plus modeste dans les environs d’Issoudun.

Ce qui ressort le plus clairement de ces exemples, c’est que, sur tous les points du territoire, même les plus reculés, se rencontrent aujourd’hui des hommes habiles et dévoués qui font de sérieux efforts. Il n’y a malheureusement rien à en conclure pour le présent, car le nombre en est encore fort restreint ; mais c’est un des symptômes les plus rassurans pour l’avenir. L’institution des primes d’honneur peut contribuer à les multiplier, et, sous ce rapport, elle peut faire quelque bien. Dans son dernier livre sur l’Ancien régime et la Révolution, M. de Tocqueville cite un propriétaire d’autrefois qui proposait à un intendant, pour encourager l’agriculture, d’instituer des inspecteurs, des concours et des marques d’honneur. « Des inspecteurs et des croix ! s’écrie à ce sujet M. de Tocqueville, voilà un moyen dont un fermier du comté de Suffolk ne se serait jamais avisé ! » Telles sont nos mœurs nationales ; il est bon d’y céder, puisque les agriculteurs eux-mêmes le désirent, mais en ne se dissimulant pas qu’un pareil moyen n’a qu’une efficacité fort limitée. En agriculture comme en industrie, la principale rémunération est le profit.


IV

Les publications agricoles deviennent assez nombreuses, ce qui est toujours un signe d’une certaine direction des esprits. Les journaux spéciaux ont tous les jours un nombre croissant d’abonnés et de lecteurs[1]. Parmi les livres nouveaux qui ont paru en 1857, on

  1. Le Journal, d’Agriculture pratique compte à lui seul 7,000 abonnés, dont 6,000 en France et 1,000 à l’étranger.