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Les chasseurs s’éloignèrent immédiatement, mais Laverdure avait à peine indiqué les passes à Jeanicot et à M. Desbois, que la voix du comte lança un «marche ! » retentissant aux batteurs. Pressé de rejoindre son maître, le garde indiqua du geste à son compagnon l’extrémité du bois, et d’un pas rapide se dirigea vers l’angle opposé. Les cris des batteurs n’arrivaient pas encore distinctement à la ligne des chasseurs, que Laverdure était de retour près du comte.

Marmande se tenait à genoux sur la lisière du bois. A l’arrivée de Laverdure, l’expression grave, réfléchie, presque solennelle de son visage changea subitement. — Tu n’as pas perdu de temps, dit-il; tu as toujours tes jambes de quinze ans, et tu vas me permettre de m’en servir. Je n’aurai pas assez de bourres, et il faut que tu coures en chercher à la maison.

— J’ai pris la liberté de demander ce matin un sac de bourres au valet de chambre, reprit le garde.

— Ah ! très bien; tu penses à tout, interrompit le maître, qui ne put retenir un geste d’impatience.

Cette première battue et les suivantes s’achevèrent non sans succès; le fusil du baron surtout fit des merveilles. Le soleil commençait à monter à l’horizon, la première partie de la journée de chasse tirait à sa fin, et la battue qui allait être faite devait être suivie immédiatement du déjeuner. Postés derrière des tas de fagots disposés à dessein de distance en distance sur la lisière d’un chaume, les chasseurs occupaient encore l’ordre de la matinée, le comte à l’extrême droite, Cassius à l’extrême gauche. A un demi-mille environ, la ligne des batteurs s’avançait en faisant retentir l’air de cris joyeux. Effarés, éperdus, les lièvres traversaient la plaine en zigzag, comme s’ils eussent eu conscience de la réception qui les attendait derrière les fagots, tandis que les perdreaux, plus braves ou moins clairvoyans, traversaient d’un vol rapide et bruyant la ligne ennemie.

En cet instant, un épisode assez joyeux vint réjouir toute la compagnie. Un lièvre de la plus belle venue, attiré sans doute par une funeste curiosité, s’approcha à la plus belle portée du pibroch-major, et, salué par lui de deux coups de fusil, s’éloigna à une allure raccourcie. Cette bravade chevaleresque, si peu dans les mœurs du timide quadrupède, exaspéra l’anglomane à un tel degré qu’il se précipita sur les traces de son ennemi; mais ce dernier, faisant un crochet avec une infernale malice, comme s’il eût eu à cœur que les chasseurs ne perdissent rien des exploits de leur collègue, suivit au petit galop, à une centaine de pas de distance, une course parallèle à la ligne des fagots. La chevelure éparse, le plaid au vent, le kilt relevé, Cassius, le fusil déchargé à la main, poursuivait son adversaire de toute la vitesse de ses jambes. Enfin, dédaignant une