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teuil où la comtesse reposait inanimée. Au regard égaré du mari, l’on comprenait que son esprit ne parvenait point à saisir tous les mystères de cette terrible journée. Kervey, les yeux suspendus aux lèvres de la comtesse, attendait, avec plus d’anxiété qu’il n’en eût montré devant un danger mortel, qu’elle eût donné signe de vie. Devant la table de nuit, les yeux attachés sur le vert liquide, M. de Laluzerte frappait le sol du pied avec rage. Enfin, comme fond de tableau, Verdurette, les yeux mouillés de larmes, le front baigné de sueur, la respiration haletante, demeurait debout à la porte.

L’explication qui succéda aux premiers momens de stupéfaction dissipa comme un soleil radieux les soupçons qui obscurcissaient encore l’esprit de Marmande. Verdurette, d’une voix émue, raconta les deux scènes auxquelles elle avait assisté dans la journée, soit dans la salle à manger, soit dans la chambre de sa maîtresse, et de ces paroles il était aisé de conclure les criminels projets de la baronne. Pour s’assurer l’héritage du vieux gentilhomme, la malheureuse avait voulu empoisonner Anna, et, par une conception digne de l’enfer, avait tenté d’expliquer un suicide supposé en établissant les preuves d’un attentat dirigé par la jeune femme contre les jours de son époux.

Devant le tout-puissant témoignage de la vérité, Marmande, éprouvé dans cette journée par tant d’affreuses angoisses, sentit son cœur se tordre sous l’étreinte d’une douleur mortelle. Les mains croisées sur sa poitrine, les yeux fixés sur le parquet, il demeurait debout, immobile. La terre se fût ouverte devant lui au plus profond de ses entrailles, qu’il se fût précipité avec joie dans l’abîme pour échapper à sa honte, à ses remords.

Cette douleur muette n’échappa point à Kervey, car, éclatant en sanglots, il se précipita au cou de son ami en disant avec une admirable effusion de tendresse : — Ah! l’affreux rêve que j’ai fait ce soir!

Le généreux pardon de Robert vint sans doute ranimer le courage de Marmande, car, tombant à genoux devant Anna, dont il saisit respectueusement la main : — Pourrez-vous me pardonner, madame? dit-il.

— Pardonnez-vous, monsieur, comme je vous pardonne, reprit la comtesse d’une voix défaillante.

Marmande, se relevant, quitta la chambre sans mot dire; mais son pas était chancelant comme celui d’un homme ivre, et, lorsqu’il eut dépassé la porte, il fut obligé de prendre le bras de Kervey, qui l’avait suivi, pour gagner son appartement.

Le comte passa le reste de la nuit dans sa bibliothèque, assis de-