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cuse d’une passion adultère, par amour de l’or, pour hériter plus tôt de sa victime. Pour ceux qui comme moi ont sondé le crime dans tous ses replis, la culpabilité de la femme Péterel est plus évidente que la lumière du jour, et, j’ose le dire, mes faibles efforts ont fait passer cette conviction dans l’âme des jurés; aussi, reculant devant le scandale d’un acquittement, ils ont rendu un verdict mille fois plus scandaleux encore. En vérité, en voyant de pareils actes de faiblesse, on s’inquiète, on s’effraie pour l’avenir... Où nous conduit cette indigne pusillanimité des citoyens appelés à remplir le plus saint des devoirs? Ne dirait-on pas que la peine de mort est rayée de nos codes, et que les théories humanitaires ont eu raison de la rigide sagesse du législateur? »

A cet instant recommencèrent dans la cour les hurlemens qui avaient accompagné les derniers exercices du pibroch. Ces cris, que l’on entendait distinctement, avaient quelque chose de si étrangement triste et douloureux, qu’il se fit dans le salon un profond silence.

— Encore les chiens de Laverdure! c’est à n’y pas tenir! interrompit Marmande.

— Ce chien étouffe évidemment, dit Jeanicot.

— Dieu le veuille! reprit Marmande en haussant les épaules. Il poursuivit après une pause avec un singulier accent d’ironie : — Mon cher magistrat, vous êtes dans le délai légal pour maudire vos juges, et loin de moi la pensée de vous refuser cette satisfaction. Cependant, permettez-moi de vous le dire, vous êtes injuste envers les jurés, et les circonstances atténuantes qu’ils ont admises n’ont rien que de très rationnel.

— Oh! vous plaisantez, cher comte, reprit le magistrat, assez désappointé.

— Pas le moins du monde, et tenez, discutons froidement, si l’on peut s’entendre toutefois, car le chien de Laverdure a juré de ne pas nous laisser un instant de repos, ajouta Marmande du ton d’irritation nerveuse qui lui était familier. Il reprit avec un sang-froid plein d’affectation : — Le défunt n’était-il pas le mari de la dame Péterel, c’est-à-dire que, pauvre femme, elle se trouvait liée à tout jamais à un être laid, infirme, repoussant sans doute?... Et vous ne trouvez pas cela atténuant, très atténuant ! ... Allons plus loin : vous l’avez dit, le patrimoine conjugal lui était assuré après son mari, c’est-à-dire que, le bonhomme mort, sa vie pleine de tristesse et d’ennuis devenait brillante et heureuse. Plaisirs de l’opulence, plaisirs du cœur, un mari beau, aimable, elle pouvait tout rêver, prétendre à tout... Et vous ne trouvez pas cela très atténuant, prodigieusement atténuant! Quant à moi, si j’avais eu à défendre la dame Péterel, loin de chercher à nier le crime de ma cliente, j’aurais