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rentrer au salon, et pendant que je finirai les pantoufles destinées à notre bon curé, vous me lirez le compte-rendu du procès de cette horrible femme Péterel. Vous avouerai-je ma faiblesse, je n’ose lire, quand je suis seule, toutes ces atrocités! Riez, riez tant qu’il vous plaira; mais la semaine dernière je me suis évanouie en lisant le récit du dernier assassinat commis à Paris, poursuivit Mme de Laluzerte avec une mignardise un peu enfantine pour son âge.

Marmande s’empressa d’agréer cette proposition, et bientôt, comfortablement assis, le journal du département à la main, il commençait à haute voix l’acte d’accusation dû à la plume de M. Desbois, tandis que sa compagne partageait toute son attention entre la prose du magistrat et la confection d’une rose verte de la plus belle venue. Il s’agissait d’un de ces crimes qui ont le triste privilège d’exciter l’attention d’un peuple qui s’ennuie, pour emprunter une expression à un grand poète politique. L’accusée traduite devant les assises de l’Oise sous la prévention d’avoir empoisonné son mari appartenait à une famille honorable; elle était jeune et jolie, tandis que la victime, vieillard infirme et aveugle, ne se recommandait guère que par son trépas à l’intérêt public. De plus, quoique les chimistes eussent trouvé dans l’estomac du défunt une respectable quantité d’arsenic, il n’existait point contre l’accusée de preuves d’une matérielle évidence. Ces diverses circonstances avaient donné un véritable retentissement au procès et divisé le département en deux camps, dont les querelles, aux combats à la dague et au poignard près, rappelaient les dissensions célèbres des guelfes et des gibelins, des Capulets et des Montaigus. L’acte d’accusation pouvait d’ailleurs passer pour un remarquable modèle du genre : remontant à la plus tendre jeunesse de l’accusée, ce document mettait en lumière avec une prodigieuse habileté ses penchans pervers et précoces. M. Desbois n’avait pas manqué non plus d’accommoder à son usage la métaphore du vaisseau de l’état, si chère au journalisme de l’époque; aussi comparait-il la société à un navire ayant pour pilote la famille, et il les montrait luttant toutes deux contre les flots déchaînés de la mer du crime...

Marmande achevait de lire cette image d’un luxe un peu oriental, lorsque la baronne l’interrompit en disant : — Encore une aiguille brisée, et mon étui est vide. Il faut que vous ayez la bonté d’interrompre cette lecture si attachante, car je n’ai plus d’aiguilles, et vais aller en chercher chez moi.

— Ne prenez pas cette peine, reprit le comte; l’étui de ma femme est toujours bien fourni. — Et, se levant, il vint fouiller le panier à ouvrage de la comtesse, qui se trouvait sur le piano.

Un observateur n’eût pas manqué d’être surpris du palpitant in-