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venu, et hier encore je t’ai rappelé la partie projetée, en te recommandant de prendre tes mesures.

— Monsieur le comte sait, reprit le garde avec l’aplomb d’un homme sur de la validité de son excuse, qu’hier j’ai été porter du gibier à M. Jeanicot.

— Je sais,... je sais fort bien, interrompit Marmande en coupant impitoyablement la parole à son interlocuteur, que tu as toujours une bonne raison à donner pour ne pas exécuter mes ordres. Maintenant ces messieurs auront des batteurs, ou ils n’en auront point; c’est ton affaire, je m’en lave les mains. Ah ! tu peux te vanter que tu me rends la vie dure, ajouta le comte en se frappant les mains avec un désespoir que ne justifiait que médiocrement l’oubli de son vieux serviteur.

Tout cuirassé qu’il était contre les boutades de son maître, l’amertume de ces paroles fit une profonde impression sur Laverdure, et, le visage consterné, il demeurait sans réponse. Ce trouble du repentir n’échappa point à son interlocuteur, qui reprit d’un ton plus doux : — Que restes-tu là sur tes jambes, comme un héron dans un marais? Crois-tu trouver des batteurs dans ta casquette? Tâche de réparer le temps perdu et de faire faire à mes hôtes une battue comme nous en faisions autrefois. File,... file donc... Qu’attends-tu?

Le vieillard ne se fit pas répéter deux fois l’ordre du départ, et, dans sa précipitation, manqua de renverser Mme de Laluzerte, qui rentrait en ce moment dans la salle à manger.

— Mille pardons pour ce vieux butor, madame, dit Marmande à la baronne. Tout en ne m’obéissant jamais, à mes moindres reproches il perd la tête. Je viens de le tancer d’importance, aussi en est-il tout ahuri. C’est que vraiment la patience d’un saint ne résisterait pas à une maison en désarroi comme la mienne : les chiens viennent prendre leur repas dans la salle à manger, et dans ce moment vous auriez besoin d’un bouillon, qu’avec un chef et deux marmitons dans ma cuisine je ne pourrais vous l’offrir. En vérité, vous devez bien prendre en pitié une pareille pétaudière, vous dont la maison est tenue avec tant d’ordre et de soin! J’ai beau dire vingt fois par jour à Mme de Marmande de prendre modèle sur vous; mais il est convenu, au salon comme à l’office, que je rabâche, et l’on ne m’écoute pas.

— Voyons, mon cher comte, reprit la baronne d’une voix doucereuse, ne calomniez pas cette bonne Anna, qui n’a qu’une pensée, un désir, celui de vous plaire. Elle est encore trop jeune et trop jolie pour se sacrifier comme je le fais aux soins du ménage. Laissez faire le temps. Les soins de l’intérieur sont les plaisirs de l’âge mûr, et, Dieu merci, bien des années s’écouleront encore avant que l’heure de ces plaisirs-là ait sonné pour notre chère enfant... Mais