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ron, n’avait pas perdu un mot de cette conversation, et peut-être Mme de Laluzerte eut-elle frémi, si, posant la main sur la poitrine de son mari, elle eût compté les tumultueuses palpitations de son cœur.

La calèche quittait à peine la cour du château de Laluzerte, lorsque la baronne, qui venait d’atteindre le dernier degré de l’escalier, se sentit saisir rudement par le bras, et s’arrêta tout interdite.

Près d’elle, le baron se tenait immobile. Une émotion violente agitait son visage, ses yeux lançaient des éclairs.

— Écoute, écoute, dit-il d’une voix étranglée par la colère, si par ton adresse infernale tu réussis à semer le trouble dans le ménage de ma fille, songes-y,... songes-y bien...

L’amour paternel même ne put donner au vieillard la force de compléter sa pensée. Un moment étonnée de cette violente apostrophe, le sentiment de sa domination revint bientôt à la baronne, et coupant brusquement la parole à son interlocuteur : — Quand vous aurez de pareils accès de folie, vous aurez soin d’aller les passer dans votre chambre. Songez-y, songez-y bien, je n’en souffrirais pas un second.

Ce disant, la tête haute, l’allure superbe, elle entra dans le pavillon, tandis que son mari, comme honteux de sa faiblesse, se frappait la tête d’un geste plein de désespoir.

Le lendemain, le comte de Marmande reçut une lettre anonyme, cette arme dernière des calomniateurs et des lâches, dans laquelle un ami inconnu disait lui reconnaître de si heureuses dispositions à jouer le rôle de mari complaisant, qu’il se ferait un cas de conscience de le tenir au courant des intrigues de son ménage.


III. — LE CHASSEUR PRIS AU PIÈGE.

A trois semaines environ de la partie champêtre, Mme de Laluzerte était assise, par une belle matinée, dans l’embrasure d’une des fenêtres de son salon, un canevas à tapisserie à la main, lorsqu’un homme ruisselant de sueur, la poitrine haletante, entra vivement dans l’appartement.

— Qu’y a-t-il donc, Pascal? dit la baronne assez étonnée.

— Il y a que le sourd en fait de belles, reprit le domestique favori d’un ton plein d’importance.

— Ah! vous ne faites jamais ce que l’on vous dit, reprit la dame en jetant avec emportement sur la table à ouvrage la tapisserie qu’elle tenait à la main. Je vous avais pourtant recommandé, pas plus tard qu’hier, de ne jamais perdre de vue M. de Laluzerte dans ses excursions. Il est si vieux, qu’un accident peut lui arriver à chaque instant... Mais enfin qu’y a-t-il?