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— Il est mort ce matin, reprit le baron d’une voix brève.

— Mort ce matin! répéta Verdurette... Pauvre bête!... Il ne faut pas vous désoler pour cela, monsieur le baron, et mon oncle a en ce moment une portée de Léda où vous pourrez faire votre choix.

— Ah! bien à votre service, monsieur le baron, dit le vieux garde, et je peux vous répondre de la pureté de la race. Il y a surtout parmi eux un petit mâle caressant et malin, le portrait de son aïeul Soliman, un chien qui avait toutes les perfections...

— Il faut venir voir la petite famille et faire votre choix, interrompit Verdurette, peu soucieuse d’entendre l’oraison funèbre familière à ses oreilles.

— J’irai un de ces jours... J’ai d’ailleurs à te parler, Verdurette; il y a longtemps que nous n’avons causé ensemble.

— Monsieur le baron, on n’attend plus que vous! cria en cet instant Mme de Laluzerte de sa voix la plus aiguë.

Ces paroles terminèrent subitement l’entretien, et le. vieux gentilhomme, sans même prendre congé de Verdurette, se rendit à l’appel de la baronne.

Les larmes du petit Charles, les paroles de Marmande, avaient ravivé de trop douloureux souvenirs parmi la majeure partie des convives pour qu’ils ne s’empressassent pas d’échapper à l’influence des lieux témoins de la catastrophe. La comtesse et Kervey allèrent chercher les chevaux de selle, et Marmande donna l’ordre de faire avancer la voiture. Quant au baron, il essaya vainement de reprendre sa place auprès de M. Jeanicot; il lui fallut obéir aux injonctions pressantes de sa femme et revenir avec elle dans la calèche.

Les chevaux marchaient depuis quelques instans; déjà l’attitude du baron, la tête appuyée contre les parois de la voiture, les yeux fermés, disait assez que, suivant son habitude, il prendrait peu de part à la conversation, quand Anna et Kervey passèrent au galop, comme une apparition, devant la portière de la calèche, et l’eurent bientôt laissée derrière eux.

— Le charmant cavalier que M. Robert! dit la baronne avec emphase. Il est impossible de rencontrer des traits d’une expression à la fois plus aimable et plus fière que les siens. Je crois, en vérité, que depuis deux ans il est encore embelli. Cette belle cicatrice, qu’il porte si noblement sur son front, ajoute aux agrémens de sa personne. C’est Là une cicatrice dont un homme doit être fier, car elle dit à tous son courage, les nobles actions d’une vie utile à son pays.

En entendant ces paroles, inspirées par une infernale habileté peut-être, Marmande, encore sous l’influence du triste épisode qui avait terminé le repas, ne put se défendre d’établir une pénible comparaison entre ce qu’il était aujourd’hui et ce qu’était Robert, Il se vit hideux, devenu l’épouvantail des enfans, mutilé par un futile acci-