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place embrassait tous les détails de cette scène; le voilà qui monte dans le cabriolet de notre jeune notaire : ils ont peut-être à causer affaires.

Cet arrangement parut contrarier profondément Mme de Laluzerte, et un nuage de mauvaise humeur obscurcissait ses traits, lorsque M. Desbois, intérieurement fort satisfait d’avoir échangé la banquette assez mal rembourrée d’un cabriolet de notaire de province pour les moelleux coussins d’une calèche de Thomas-Baptiste, s’assit à côté du comte, qui donna au cocher le signal du départ.

— M. de Kervey nous ferait-il défaut? dit la baronne, dont le visage assombri s’éclaircit comme par enchantement.

— Robert est trop ami de ses plaisirs pour cela, reprit le comte; mais comme Mme de Marmande désire revenir à cheval, il a eu la complaisance d’accompagner au moulin son cheval de selle.

Le costume de la jeune femme annonçait en effet l’intention de se livrer dans la journée à l’exercice de l’équitation. Une amazone de drap bleu foncé, dont les larges revers s’ouvraient sur les plis d’une chemisette de batiste fermée par deux boutons de perle, révélait toute l’élégance de sa taille. Le petit chapeau noir gracieusement posé sur deux nattes de magnifiques cheveux châtains, qui complétait le costume de la comtesse, donnait à sa physionomie un cachet si piquant, qu’à sa vue on saisissait des mystères de poésie dans le tuyau de poêle dont les caprices de la mode ont coiffé les hommes du XIXe siècle.

— Monsieur Desbois, dit Mme de Laluzerte, interpellant le magistrat, j’osais à peine compter sur vous; je vous savais si occupé par l’instruction de cette horrible affaire Péterel, que je craignais que vous ne pussiez nous donner le plaisir de votre compagnie.

— Dieu merci, l’instruction de ce grand crime touche à sa fin, reprit le magistrat. Hier les chimistes ont tenu une dernière séance; leur analyse ne saurait laisser aucun doute : l’appareil de Marsh a parlé! Le malheureux Péterel a été empoisonné par une dose d’arsenic telle que M. Voitout me disait avoir trouvé dans son analyse plus de poison qu’il n’en faudrait pour tuer vingt hommes. C’est à la justice maintenant de rechercher le coupable et d’obtenir vengeance de la rigueur des lois, au nom de la société outragée. Hélas! tout porte à croire, continua le magistrat non sans emphase, que nous aurons à remplir la triste mission de poursuivre un de ces drames terribles auxquels est réservée une triste célébrité dans les annales de la perversité humaine. C’est le cœur serré d’une poignante émotion qu’il nous faut comprendre, en sondant les mystères du crime, que la main qui a versé le poison était une main amie ! On ne saurait le nier, les plus fortes charges pèsent en ce moment sur la femme de l’infortuné Péterel.