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A l’arrivée de la baronne, la tempête qui avait bouleversé les traits du vieillard s’était calmée comme par enchantement. Tout dans l’humble attitude du baron révélait l’esclave devant son maître, la victime devant le bourreau.

Mme de Laluzerte poursuivit : — Je vous l’ai déjà dit bien souvent, je ne veux pas que vous sortiez le matin aussi légèrement vêtu, sans rien sur la tête ! Rentrez vite, et allez chercher votre casquette. Surtout n’oubliez pas d’être prêt à dix heures. Vous savez que le comte vient nous prendre pour aller goûter au moulin des Étangs, et il est exact !

Cette admonition était à peine terminée, que M. de Laluzerte quittait la cour des écuries; mais il devait y avoir quelque chose de bien profondément désolé dans les regards que le baron à plusieurs reprises porta vers le bâtiment où gisait la dépouille mortelle de son chien fidèle, car le petit domestique qui suivait d’un œil anxieux les faits et gestes de son vieux maître dut essuyer à deux reprises les larmes qui sillonnèrent ses joues.

— Je voulais vous recommander, mon bon Pascal, reprit la baronne d’une voix doucereuse, d’avoir bien soin du panier où sont les fraises et le raisin, ainsi que du seau à glace : le comte de Marmande aime à boire froid; mais je vous tiendrai compte de toutes ces peines, mon bon Pascal; vous savez que d’ordinaire je ne vous oublie pas !

— C’est bien, c’est bien, on soignera les comestibles, reprit le domestique avec une étrange familiarité.

A dix heures précises, le lendemain, comme Mme de Laluzerte l’avait prévu, Marmande et sa femme arrivaient au château, où ils avaient été précédés de quelques instans par le notaire Jeanicot et M. Desbois. Les premiers complimens de bienvenue échangés, la baronne, qui la première avait eu l’idée de cette partie champêtre, et à ce titre s’arrogeait le droit d’en régler les détails, fit remarquer que le jour était si beau qu’il serait fâcheux d’en perdre un seul instant. — Nous avons tous lutté d’exactitude, ajouta-t-elle; mon mari lui-même est prêt.

— Alors nous n’avons plus qu’à partir, prenez votre place à côté de ma femme, dit Marmande, qui, se levant du fond de la voiture, s’assit sur les coussins de devant. La baronne enjamba lestement le marchepied en effleurant à peine du bout des doigts le bras que M. Desbois lui offrait galamment.

— Nous avons une place pour vous, monsieur Desbois, dit Marmande au magistrat, qui d’un œil de convoitise contemplait, la main sur la portière, l’intérieur de la calèche.

— Et mon mari? interrompit vivement la baronne.

— Il vient avec M. Jeanicot, reprit Marmande, qui de sa nouvelle