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« — Parce que je ne le permettrai pas, reprit-elle d’une voix impérieuse.

« L’insolence de cette réponse me rendit au sentiment de ma dignité : — Vous me permettrez de ne pas trouver la raison suffisante, madame, repris-je avec un calme apparent qui mit le comble à sa fureur.

« — Je vous dis que vous ne porterez pas ce bracelet, parce que je ne le permettrai pas, répéta-t-elle hors d’elle-même.

« — Je vous répondrai, madame, que je ne trouve pas la raison suffisante, et que je ne dois obéissance qu’aux volontés de mon père et à celles de mon mari.

« — Voyez cette jeune folle, interrompit-elle avec un geste superbe, qui ose lutter contre ma volonté; mais elle ignore donc ce que c’est que de provoquer la colère d’une femme comme moi!

« — Je sais, madame, ce que je dois aux bontés de mon grand-père, et puisqu’il désire me voir porter ce bracelet ce soir, son désir sera accompli.

« La fermeté de mes paroles et de mon attitude ne fit que redoubler l’emportement de la baronne. — Écoutez-moi, me dit-elle d’une voix altérée par un frémissement nerveux, je vous parle dans votre intérêt; n’essayez pas de lutter avec moi, vous vous briseriez. Puisqu’il faut des exemples à votre jeune cervelle, écoutez et retenez bien ce que je vais vous dire. Il s’agit aussi de ce bracelet; il a déjà été fatal à votre mère, il vous serait fatal à vous-même! Vous étiez bien jeune quand pour la possession de ce bijou votre mère ne craignit pas de se révolter contre ma volonté, d’entamer avec moi la lutte. Savez-vous quelle fut sa récompense?... L’exil, la malédiction de son père, voilà le châtiment dont j’ai frappé l’orgueil de la mère. Croyez-vous qu’aujourd’hui je serais sans défense contre l’orgueil de la fille?

« Je demeurai comme foudroyée. Hélas! cette terrible révélation, dont je ne pouvais mettre en doute l’odieuse véracité, ne m’expliquait que trop le silence, les secrets chagrins de ma pauvre mère.

« — Je vous devais cette confidence, poursuivit la baronne; elle vous rendra plus circonspecte, elle vous montrera que vos manœuvres seraient impuissantes à triompher de l’imbécillité d’un vieillard! Quant à ce bijou, je le reprends, il m’appartient : si le cœur vous en dit, allez le réclamer à votre bon et généreux grand-père. — Ce disant, la baronne quitta le salon, emportant avec elle le bracelet.

« Je restai comme anéantie, la baronne m’avait frappée au cœur. Une heure après, je revis mon grand-père : la consternation empreinte sur ses traits, son regard morne, presque égaré, annonçaient assez qu’il venait de subir une de ces scènes violentes qui ont fait le mal-