Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/847

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’un long chant d’allégresse et de remerciemens à la Providence, tandis que j’ai à te narrer de bien tristes histoires, et peut-être à demander conseil à ta haute raison. Je t’ai depuis longtemps déjà fait connaître mon bon vieux grand-père et mon mari, je t’ai parlé d’eux longuement, suivant mon cœur; mais je ne t’ai pas dit un mot de la femme de mon grand-père. Hélas! il est si triste de révéler qu’au milieu de sa propre famille on n’a rencontré que des sentimens de haine, des procédés injustes et immérités, que jusqu’ici je m’étais abstenue de te retracer ce douloureux chapitre de ma vie. Aujourd’hui je ne saurais garder plus longtemps les chagrins enfermés dans mon cœur; j’ai besoin de conseils... Et d’ailleurs, bonne sœur, n’est-ce pas manquer aux devoirs de l’amitié que de souffrir et de ne pas verser mes douleurs dans ton sein?

« Tu te rappelles, chère Kate, avec quelle tendresse ma pauvre mère nous parlait de son père. Que de fois ne nous a-t-elle pas entretenues de l’excellent vieillard vers lequel se reportaient ses meilleures pensées! Cependant, au milieu de ses plus tendres épanchemens, je ne me rappelle pas lui avoir entendu prononcer plus de deux ou trois fois le nom de sa belle-mère, et cela sans réflexions ni commentaires, un nom seul, comme s’il s’agissait d’une personne tout à fait étrangère à ses affections. J’avais su seulement, par l’indiscrétion d’une femme de chambre que ma mère avait emmenée aux Indes, que mon grand-père avait épousé en secondes noces une femme de condition inférieure. Quoique bien jeune alors, j’avais deviné que le silence de ma mère cachait sans doute de trop cruelles douleurs pour que je pusse me permettre de l’interroger. Hélas! je connais aujourd’hui les chagrins dont cette marâtre a abreuvé ma pauvre mère ! Je ne sais que trop que la haine qu’elle portait à la mère, elle l’a reportée tout entière sur la fille. Mais je n’anticiperai pas sur les événemens, et reprendrai mes confidences du premier jour.

« A mon arrivée en Europe, mon vieux grand-père, tu le sais, m’accueillit avec une affectueuse tendresse; chez la baronne au contraire, je ne trouvai que mauvais vouloir et dédains. J’essayai en vain de l’adoucir par la tendresse la plus respectueuse; mais, habituée à tout voir plier devant ses emportemens, cette nature orgueilleuse et basse ne comprit pas les efforts que ma soumission coûtait à la franchise de mon naturel. Tu me connais, à juste titre bien des fois tu m’as reproché d’être trop hardie, trop franche... Et cependant je me résignai et souffris en silence. C’est que, chère Kate, je voyais le pauvre vieillard si humble devant la mauvaise femme qui a abreuvé sa vie d’amertume, si résigné à acheter à tout prix la paix de son intérieur, que je redoutais de faire naître à