Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/844

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les femmes, les enfans en toilette, les jeunes filles aux mains chaudement pelotonnées dans leur manchon ; des boulangeries sortent aussi peu à peu les joints, les pâtisseries, les gâteaux portés triomphalement par des mains laborieuses, et laissant entrevoir sous le voile avec coquetterie un teint doré par l’action du feu. Cependant les rideaux des plus humbles fenêtres sont éclairés par un soleil intérieur : la bûche de Noël (Christmas log) est au feu ; elle brûle en illuminant de joyeux visages. Un foyer propre, un bon feu qui flambe et une bonne femme qui sourit, c’est, dit le proverbe anglais, la richesse d’un homme pauvre : or il y a bien peu de cheminées qui ne pétillent et bien peu de femmes qui ne sourient en Angleterre le jour de Noël[1]. L’heure du repas est le moment solennel de la fête. Pas de bons Noëls sans enfans : c’est la couronne de la table. Parfois, surtout dans les campagnes, une vieille chaise vide préside ; sur cette chaise siège un souvenir de la famille. Le fameux plumpudding national apparaît bientôt, accueilli par le bruit des jeunes voix, l’applaudissement des yeux, le trépignement des petits pieds sous la table. L’aïeul même sourit sous ses lourdes lunettes à la vue des belles flammes bleues et rouges que jette à la surface du mets l’eau-de-vie brûlante ; il sourit à sa jeunesse, qui a duré ce que dure cette flamme ; il sourit surtout à la jeunesse qui le remplace[2]. Au dessert paraît l’arbre de Noël : nouvelle joie, nouveaux cris. Enfin commencent les jeux, la danse. Les jeux consacrés par l’usage, surtout dans les antiques manoirs, sont ce jour-là le colin-maillard, blind man’s buff, et cache-cache, hide and seek. Au milieu des éclats de rire retentit, comme un sombre écho du passé, la légende de la belle fiancée du jeune Lovel. C’était dans un vieux château : la fille du baron se cacha pour intriguer ses compagnes, mais elle se cacha si bien que les jours, les semaines, les années se passèrent sans que, malgré les recherches les plus actives, ses parens et Lovel lui-même pussent la découvrir. Enfin, après plusieurs années, on ouvrit un lourd bahut, meuble antique du château, et l’on y trouva un squelette avec une couronne de roses blanches fanées : c’était elle.

  1. Sans doute la fête de Noël ne suspend point, comme par enchantement, toutes les souffrances et toutes les privations sociales, mais il existe jusque dans les villages des Christmas boxes, sortes de caisses d’épargne sur une petite échelle, et ad hoc. En plaçant dans ces banques d’approvisionnement quelques sous ou quelques shillings par semaine durant une partie de l’année, l’ouvrier se ménage les moyens de célébrer le grand jour dans la mesure de son salaire. C’est surtout la femme, c’est-à-dire la prévoyance, qui préside à ces petites économies.
  2. Le plumpudding est en quelque sorte le signe culinaire de la nationalité anglaise. Lors de la guerre de Crimée, des dames envoyèrent aux soldats des plumpuddings enfermés dans des boites d’étain, pour que ces exilés temporaires pussent communier, le jour de Noël, avec la patrie absente.