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sur la civilisation qui commençait à se former par le mélange des Celtes et des Saxons. Une race peut ravager et soumettre un pays sans le conquérir : les Danois n’ont point conquis l’Angleterre. Cette invasion, — la troisième en date, — n’a fait que glisser sur la société saxonne. Les Danois, durant leur court passage (guère plus d’un demi-siècle), ont laissé très peu de traces dans la langue anglaise, peu de monumens, peu d’histoire ostéologique[1]. Il est pourtant très probable qu’ils ont contracté des alliances. Qui oserait aujourd’hui prétendre qu’aucune goutte de sang scandinave ne coule dans les veines de la nation anglaise ? Et puis, quand l’ethnologiste parle de l’influence des hommes du Nord sur la formation du type britannique, il n’a point uniquement en vue l’invasion tumultueuse des Danois à une certaine époque. Il est une autre source de changemens moins remarquée par l’histoire, mais plus continue, plus certaine, plus efficace : je parle de la lente et silencieuse érosion des races du Nord sur quelques-unes des côtes de la Grande-Bretagne. Là, comme par exemple dans les highlands et dans l’île de Man, les traces de scandinavisme sont évidentes. Non-seulement le sang y est mêlé, mais les mœurs y présentent une combinaison si intime des coutumes, des superstitions et du caractère des deux races, qu’il est souvent très difficile d’en distinguer la source. C’est encore un usage dans quelques parties des highlands et chez quelques familles highlandaises que de jeter aux funérailles une pièce d’argent dans la fosse du mort ; sans cela, l’âme du défunt ne serait pas reçue dans le ciel. Il est difficile de décider si une telle croyance est celtique ou Scandinave ; mais les légendes touchant l’existence des hommes ou des femmes de mer (mermen and mermaids) viennent certainement du Nord. Les habitans des îles des Shetlands estiment que ces êtres surnaturels possèdent une peau de phoque, laquelle leur sert de charme et leur permet de vivre dans les profondeurs de l’océan. Sans ce talisman, ils perdraient aussitôt leur qualité d’hommes ou de femmes amphibies. On raconte à ce propos l’histoire d’un habitant d’Unst qui, se promenant sur le sable, au bord de la mer, vit un groupe de ces êtres singuliers danser au clair de lune. Un assez grand nombre de peaux de phoque gisaient à côté d’eux sur le rivage. Chacun courut pour ramasser la sienne, et toute la bande disparut en un clin d’œil dans la mer ; mais l’homme des Shetlands, ayant découvert à ses pieds une de ces peaux, la saisit et la cacha dans un lieu sûr. À son retour, il rencontra sur le rivage la plus belle fille qui se soit jamais montrée aux yeux d’un

  1. Ces monumens sont rares, mais reconnaissables. Une des hautes montagnes de l’Ecosse est Rona ; au sommet se montrent les restes de plusieurs anciens monumens qu’on suppose être d’une origine norvégienne ou danoise. On a également découvert des crânes danois qui se distinguent par des traits de race.