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représentant auquel on ne s’attendrait guère : c’est le rat. Je me promenais une nuit, avec un naturaliste écossais des highlands, dans le quartier le plus pauvre, le plus mal famé, le plus laid, le plus vieux et le plus pittoresque de la ville de Londres, dans Wapping. Là sont les docks, les warfs de souffrance[1], les fabriques de voiles, d’ancres et de cordages ; là descendent et logent dans des rues étroites, dans des maisons équivoques, les matelots de tous les pays et de toutes les couleurs ; là un pavé fangeux, broyé par les roues, voit passer chaque jour, dans de lourds camions, les richesses du monde entier, qu’on débarque et qu’on charge dans d’opulentes masures délabrées. Nous descendions les vieux escaliers de Wapping, Wapping old stairs, célèbres dans les chansons de marins. La lune répandait sur la Tamise une lumière glacée. Hormis la voix du fleuve, tout faisait silence. Sur les marches de pierre boueuses et déchaussées, nous fumes alors témoins d’un combat entre deux rats de taille et de couleur différentes ; le plus faible des deux adversaires, fut exterminé par le plus fort avant que nous eussions le temps de suspendre les hostilités. Mon guide poussa un soupir : « Pauvre Breton, s’écria-t-il, voilà ton sort ! Tu succombes partout sous les attaques des envahisseurs. Encore quelque temps, et le naturaliste te cherchera en vain à la surface de tes îles natales ! » Il m’expliqua ensuite qu’il y avait dans la Grande-Bretagne deux variétés de rats, le noir et le brun. Le rat brun, dit la tradition, est venu d’Allemagne en Angleterre dans le même vaisseau qui apportait une nouvelle dynastie, la maison de Hanovre. Cet intrus, le rat hanovrien, a repoussé, détruit le rat indigène, le vieux rat celtique, lequel ne se retrouve plus que dans quelques parties reculées de l’Angleterre et à Wapping.

Une race d’hommes qui, après avoir occupé le territoire pendant des siècles, couvre encore, plus ou moins mêlée, un tiers de la Grande-Bretagne, méritait une attention particulière. Le groupe celtique n’est d’ailleurs point étranger à la gloire des armes anglaises. Braves, chevaleresque, enthousiastes, les highlanders fournissent d’excellens soldats, qui se distinguent par leur costume théâtral, le haut de leurs jambes nu, leur musique des montagnes, leurs membres vigoureux, endurcis à tous les climats. Le langage vulgaire les désigne sous le nom de diables en jupons, devils in petticoat. Ces Gaulois d’outre-mer viennent d’apprendre tout dernièrement aux Indes anglaises, peut-être le berceau de leur race, que leur sang n’était ni refroidi par les glaces ni dégénéré. C’est le son

  1. On appelle warf une sorte de quai construit en bois ou en pierre, et sur lequel on décharge des vaisseaux. Il y a deux sortes de warfs ; dans ceux dits de souffrance, on ne peut débarquer que certaines marchandises.