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— Diogo, Diogo, répéta encore la vieille Josefa, prête à se trouver mal, il y en a douze… Si tu ne réussis pas dans ton voyage, tu me les rapporteras… Ah ! mon Dieu, s’il allait me voler !…

Le pêcheur ne l’entendait plus. D’un pas rapide, courant et sautant, il gagnait les rochers pour descendre voir la mer, et cherchait des yeux, à travers l’obscurité de la nuit, les voiles du grand navire qu’il s’agissait pour lui de rejoindre au plus vite.


IV

Pour abréger son chemin, Diogo se laissa glisser le long des rocs escarpés au pied desquels la vague a creusé des grottes profondes, toutes remplies de sable fin. Les goélands, que le pêcheur éveillait en passant, s’envolaient effrayés et poussaient de grands cris, puis ils revenaient se poser sur les roches noires en attendant le jour. Les étoiles brillaient au ciel ; la mer calmée semblait reposer dans son immensité, à peine si la houle, se levant à de faibles hauteurs par un mouvement régulier, marquait le dernier effort de la marée montante. La vague, parvenue à son extrême limite, baignait la quille d’une petite barque échouée sur le sable et fixée au rivage par un grappin. Le pêcheur n’eut pas de peine à la mettre à flot ; appuyant contre la poupe son épaule vigoureuse, il la lança en avant, et l’esquif commença de voguer. En quelques coups de rames, Diogo gagna les eaux plus profondes, et dès que la brise matinale ridant la surface de la mer vint lui rafraîchir le visage, il hissa la voile. La barque, poussée par ce vent léger, s’avança lestement. De son côté, le grand navire recevait aussi dans sa large voilure les premières bouffées de cette brise longtemps attendue. Resté en calme durant la soirée et une partie de la nuit, il avait été ramené par le flux de la marée vers les rochers qui forment la pointe orientale de l’île de Flores. Désormais, il allait s’élever de la côte et faire route vers l’Europe : le bruit du sillage annonçait aux marins ennuyés qu’il s’était remis en marche. — Tant qu’il ne ventera pas plus que cela, pensait le pêcheur, j’irai plus vite qu’eux, et je suis sûr de les atteindre ; mais si la brise augmente… Il ramait donc par intervalles pour aller plus rapidement encore, puis il s’arrêtait et cherchait à distinguer au large le gros navire, toujours caché par les ténèbres. Plusieurs heures se passèrent ainsi, heures d’angoisse pour Diogo, qui sentait la mer grossir et la vague se creuser sous la quille de la petite barque. Enfin les étoiles pâlirent, une teinte blanche, légèrement nuancée de rose, colora le ciel, puis les flots. Le pêcheur reconnut qu’il était au vent du navire, dont la voilure blanche échafaudée autour des mâts s’élevait en pyramide du milieu des vagues à quelques milles de lui. Il laissa donc porter de ce côté avec un cri