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c’est moi qui ai conduit ici ce maudit navire !… Pourquoi l’avez-vous laissée s’en aller ?… Ah ! si j’avais été là !… N’est-ce pas qu’elle a pleuré en partant ? N’est-ce pas qu’elle est sortie d’ici en larmes ?

— C’est vrai, répliqua la vieille ; elle a été un peu émue de me quitter… C’est bien naturel.

— On vous a donc donné de l’argent ?

— Mieux que cela : de grandes pièces d’or.

— Et vous avez vendu votre fille pour ces grandes pièces d’or ! dit Diogo en faisant un pas vers la mère de Manoela. Et qu’est-ce que ces dames-là vont faire de votre fille ? Une servante, une femme de chambre, et vous ne la reverrez jamais !… Comme si elles ne pouvaient pas trouver ailleurs du monde pour les servir ! Mais non, il leur fallait la perle de notre île, et elles l’ont emportée en passant… Et moi qui venais vous dire : — Mère Josefa, il me manquait un peu d’or pour compléter une somme ronde que j’ai cachée dans les rochers ; cet or, je l’ai gagné aujourd’hui ; voulez-vous m’accorder votre fille ?

— Il n’est plus temps, que veux-tu que j’y fasse ? dit la vieille Josefa. Va te reposer, Diogo, laisse-moi en paix ; nous parlerons de cela un autre jour…

— Un autre jour ! interrompit le pêcheur ; croyez-vous donc que j’aie pris mon parti sur le départ de Manoela ? Ah ! si j’avais su que vous étiez ennuyée d’elle, si vous m’aviez dit : — Je te la donne pour cent piastres, pour deux cents piastres, au lieu de vous demander une dot, j’aurais payé sa rançon. La pauvre enfant ! Vous étiez donc bien fatiguée de l’avoir auprès de vous ?

— Elle était plus souvent à courir sur les rochers qu’à côté de moi, répliqua sèchement la duègne. À la moindre observation que je lui adressais, elle prenait sa course.

— Parce que vous vouliez lui rendre les tapes que vous aviez reçues autrefois de votre mari.

— Diogo, s’écria la vieille avec colère, es-tu venu ici pour m’insulter ?

— Non, reprit le pécheur, bien au contraire, je venais tout exprès pour m’agenouiller devant vous et vous demander de me prendre pour votre fils. Tenez, me voici à genoux, donnez-moi votre main, mère Josefa, et répondez-moi, je vous en conjure. Elle était bien méchante, n’est-ce pas, cette charmante fille, que toutes les mères vous enviaient ?

— Je ne dis pas cela.

— Elle aimait à vagabonder, n’est-il pas vrai ? Elle n’était ni sage ni honnête ?

— Jamais je n’ai dit cela.

— Elle n’était point jolie non plus, n’est-il pas vrai ? Il se peut