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d’or à l’effigie péruvienne, représentant le soleil qui darde ses rayons au-dessus des sommets du Potosi.

— Mesdames, s’écria la duègne en essayant de pleurer, je n’ai que ma fille pour m’aider à vivre… A mon âge, on n’est plus propre à grand’chose ; on ne peut plus gagner sa pauvre vie…

— Voilà dix onces d’or pour remplacer le travail de votre fille, reprit Teresa, et deux autres pour le prix de la chèvre.

— C’est de la bonne monnaie au moins ? demanda la duègne en allongeant les doigts ; nous autres pauvres gens, nous n’avons point de balance pour peser ces pièces-là…

— Oui, oui, c’est de bon or rouge, dit Teresa, de l’or du Pérou, le premier de l’univers !

— Oh ! les jolies pièces ! continua la vieille. Allons, Manoela, remercie donc ces bonnes dames. Tu ne peux pas manquer d’être heureuse avec des gens aussi riches !

Manoela demeurait interdite et confuse. Elle se voyait chassée de la maison maternelle, échangée sans regret et même avec joie contre dix pièces d’or. Durant les seize années de sa courte existence, elle avait souffert bien souvent des brusqueries de sa mère, mais elle avait pris son mal en patience. Les gens pauvres, attristés par la misère, n’ont guère l’usage de prodiguer à leurs enfans des marques de tendresse et d’affection. Tout en les aimant beaucoup, il leur arrive parfois de les malmener, comme pour les habituer aux rudes épreuves de la vie. Manoela supposait qu’il en était ainsi pour elle, d’autant plus qu’elle se montrait envers sa mère pleine de respect et de déférence. Quelquefois, il est vrai, quand une parole acerbe l’avait blessée, elle sortait de la maison pour aller respirer l’air vif de ses vallées balayées par le vent de la mer et écouter cet immense bruit de la vague qui endort les douleurs d’un cœur attristé. À son retour, la vieille Josefa l’accusait de perdre son temps et de courir sans raison à travers l’île. Un jour, Manoela ramena la chèvre blanche d’une de ses promenades rêveuses. Où l’avait-elle rencontrée ? qui la lui avait donnée ? C’était là son secret. Un lien mystérieux unissait ces deux créatures timides et avides de liberté. La Branca, — ainsi se nommait la chèvre, — mal accueillie par la duègne, s’était attachée à Manoela, qu’elle ne quittait jamais, à moins que la jeune fille ne lui fît signe de se coucher derrière la maison. À aucun prix, Manoela n’eût consenti à se défaire de la Branca ; elle était donc atterrée de voir que sa mère l’abandonnait elle-même pour une poignée d’or. L’avarice est une passion que la jeunesse ne comprend pas. Quand la jeune fille eut reconnu que sa mère ne l’aimait pas autant qu’elle le pensait, elle crut lire sur le visage souriant et épanoui de Teresa l’expression de la sympathie. Elle se jeta donc