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nous foulons, bordée çà et là de maisons d’une chétive apparence, est-ce un village !

— C’est le village de Lagens, senhorita.

— Il n’y a donc point ici de boutiques, point de magasins, rien de curieux à voir ?

Manoela secoua la tête.

— Quelle triste vie on doit mener dans ce pays ! s’écria Teresa.

— Le plaisir est comme la richesse, répondit Manoela : il n’y en a pas pour tout le monde ici-bas.

— Je n’y avais pas encore pensé, dit à demi-voix la jeune Péruvienne ; il y a donc des gens qui ne s’amusent jamais ? — Puis elle leva un regard curieux et compatissant sur Manoelita, dont les traits calmes portaient l’empreinte de la mélancolie et de la résignation. Sans trop savoir pourquoi, celle-ci suivait les deux dames étrangères, examinant à la dérobée leurs brillantes toilettes. Les habitans des rares maisonnettes abritées derrière les rochers la regardaient passer, et il y en eut plus d’un qui l’appela avec de grands gestes, pour lui demander tout bas à l’oreille : Quelles sont ces dames-là ? d’où viennent-elles ? où les conduis-tu donc ainsi ?…

Manoela était fort embarrassée de répondre ; Teresa marchait toujours en avant, respirant l’air de la terre, enfonçant ses petits pieds dans le sable, souriant aux enfans, qui la contemplaient la bouche béante, et aux duègnes qui la saluaient. Doña Rosario, sa mère, commençait à trouver la promenade peu attrayante.

Senoras, demanda alors le capitaine, qui les accompagnait toujours, votre intention est-elle de traverser l’île et d’aller jusqu’à Santa-Cruz ?

— Oui, répliqua Teresa ; je marcherai tant qu’il y aura de la terre devant nous. Y a-t-il loin, ma petite, d’ici à la grande ville ?

— Oh ! non, dit Manoela, une ou deux heures de marche.

— Allons, en avant ! s’écria Teresa, en avant, en avant ! je n’aurai jamais fait une aussi longue route à pied.

Doña Rosario n’avait pas d’aussi bonnes jambes que sa fille. Elle fit donc quelques objections et se plaignit bien haut de ce qu’il n’y avait pas dans cette île quelque bonne grande mule au pas sûr, à l’allure régulière, comme on en voit à Lima et dans toute l’Andalousie. Le capitaine, qui ne voulait pas laisser plus longtemps son navire à l’ancre le long d’une côte dangereuse, retourna à bord et donna rendez-vous aux deux dames sur la rive opposée de l’île de Flores.

— J’espère franchir en quelques heures le détroit de Corvo, dit-il en prenant congé. Dans l’après-midi, je serai devant Santa-Cruz, où j’irai vous rejoindre. À ce soir.

— Allez à votre navire, répondit Teresa, promenez-vous sur la