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que du reste le général avait poussé la défense aussi loin que possible, qu’il ne s’était rendu que lorsque sa garnison avait été décimée, toutes ses pièces démontées, et que le feu avait été communiqué par les bombes ennemies aux maisons qui entouraient le grand magasin à poudre. Le conseil avait paru vivement frappé de l’opinion de l’amiral Bruat, qui déclarait que la défense du général Kokonovich avait été honorable et bien dirigée. »

Messine fut le second point de relâche de la Dévastation ; de Beïcos à Messine, la traversée ne dura que six jours. Les Siciliens, aussi curieux que les Maltais et les Espagnols, nous rendirent de nombreuses visites, mais ils n’eurent pas la satisfaction de voir notre artillerie. Deux jours après, nous filions à toute vapeur dans le détroit de Messine, nous passions sans encombre entre Charybde et Scylla, et nous courions, par le plus beau temps du monde, vers les îles Lipari. Plus avare de relâches que notre premier remorqueur l’Albatros, le Descartes nous mena toujours bon train ; la mer de Sicile vit tanguer et rouler la Dévastation, mais sans danger pour son équilibre. Elle traversa le détroit de Bonifacio sous un ciel d’une sérénité parfaite, et arriva bientôt en vue des îles d’Hyères. Enfin le 4 juillet 1856 la batterie flottante la Dévastation entrait dans le port de Toulon. Ainsi la nouvelle machine de guerre dont j’ai dit la haute origine avait mis en défaut tous les prophètes de malheur qui l’avaient saluée de si tristes paroles à son départ. Elle avait franchi plus de mille cinq cents lieues et porté, au terme de ce long voyage, la terreur et la mort chez nos ennemis. Un grand problème, à la fois militaire et maritime, était résolu.

Si jamais vous allez à Toulon, après avoir fait le tour du port, après avoir visité les îles d’Hyères et salué avec admiration les belles fontaines de Puget, n’oubliez pas de vous arrêter devant le parc d’artillerie. Là on vous fera voir, amarrée à quelques mètres du quai, la Dévastation toute couverte de glorieuses cicatrices. Le gardien, qui sait aussi bien que moi l’histoire de la batterie flottante, vous montrera la trace des boulets russes qui ont touché sa coque en fonte de fer, les déchirures du pont mal effacées par les pièces de bois qu’y mit le maître charpentier, et le boulet encore fixé dans la muraille intérieure. À ses côtés, vous verrez la Lave, la Tonnante, ses vaillantes sœurs, et vous ne contemplerez pas sans une émotion respectueuse ces trois bâtimens qui ont consacré par une victoire de plus les derniers jours de la guerre d’Orient.


H. LANGLOIS.