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de Streleska et de la Quarantaine. Les bâtimens de l’état fournissent chaque jour un certain nombre d’hommes qui, avec l’armée, travaillent à l’enlèvement de tous les matériaux. La Dévastation, mouillée près du vaisseau la Bretagne, jouit cependant du calme le plus parfait. L’équipage se repose de ses fatigues passées, et oublie dans ce far niente les privations et les souffrances de l’hivernage à Kinburn. Ici la température est douce et vivifiante, et il n’est plus besoin de réchauffer ses membres engourdis en allumant les fourneaux de la machine. L’entre-pont peut maintenant se passer de ce poêle que, malgré ses dimensions, on ne trouva pas toujours suffisant. Il est loin déjà, le temps où pour faire de l’eau douce on ramassait de la neige à pleines chaudières, — cuisine que le maître coq n’avait pas encore pratiquée !

En attendant qu’on nous attelle définitivement au vapeur le Descartes, nous suivons les mouvemens du port et de la rade. Les petites chaloupes canonnières, remorquant des bâtimens trois fois plus gros qu’elles, vont et viennent. Grâce à leur activité, l’encombrement de la baie diminue d’heure en heure. Les vaisseaux, les frégates et les transports partent chargés de troupes. Quinze jours encore et de ce nombre considérable de navires que l’on aperçoit au fond de la baie il ne restera presque rien. La ville de Kamiesh voit en même temps ses commerçans l’abandonner, et la plupart d’entre eux emportent une petite fortune. Les magasins se ferment. Quoique vides et construits en planches brutes, ils n’en seront pas moins, — avec les édifices publics, théâtre, église, hôpitaux, — vendus un très bon prix. — Qui sait, se disaient nos soldats, si la France n’a point jeté sur les rives de la baie de Kamiesh les fondemens d’une ville appelée à de hautes destinées commerciales ?

Malgré son empressement à quitter la baie de Streleska, la Dévastation garda son mouillage de Kamiesh pendant plus d’un mois. Ce ne fut que le 14 juin 1856 que le Descartes vint la tirer de son long repos. Elle traversa la Mer-Noire sans fâcheux contretemps, et effectua sa première relâche à Beïcos. Les journaux qui nous étaient parvenus avant notre départ nous apprirent une nouvelle qui n’était pas sans intérêt pour ceux qui avaient été témoins du fait d’armes de Kinburn. Il s’agissait de la comparution du général Kokonovitch, commandant de cette place, devant un conseil de guerre russe, et de son honorable acquittement. « Les membres du conseil d’enquête avaient tous reconnu que l’attaque, en opérant l’investissement de la forteresse par terre et par mer, en employant contre elle une artillerie formidable et des engins d’un nouveau genre appelés batteries flottantes, ne laissait aux défenseurs aucune chance de repousser l’ennemi et de l’obliger à lever le siège,