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composé de sables et de coquillages qui ne laissent croître que d’épais roseaux. Ces terrains sont coupés de marécages très abondans en gibier et aussi en vipères. Il eût été très imprudent de s’asseoir sur ces plages voisines de la mer sans avoir commencé par mettre le feu aux herbes sèches.

Le commandant profita de notre séjour pour faire construire une carte des sondages de la baie. Ce travail, qui n’avait pas été fait depuis 1836, ainsi que nous l’indiquait une carte russe, a démontré que Tendra pouvait au besoin servir de refuge à des vaisseaux de premier rang. Des mouvemens de terrains se produisent très fréquemment dans ces îles : les sables s’accumulent dans certains endroits et se retirent dans d’autres ; aussi la carte dressée par les officiers de la Dévastation, bien qu’exécutée avec le plus grand soin, aura-t-elle perdu de sa valeur dans quelques années d’ici.

Le 28 et le 29 mars, le temps était redevenu excessivement froid, et la Dévastation regagna la rade de Kinburn parée d’une éclatante couronne de glace. Elle arriva juste à temps pour prendre part aux réjouissances de la division, qui célébrait la naissance du prince impérial. Quelques jours après, nous reçûmes la nouvelle de la signature de la paix. Le 12 avril, après avoir repris les deux pièces de canon qu’elle avait cédées au fort et remis à bord la partie de son matériel déposée à terre sous une tente, la Dévastation dit adieu au théâtre de ses premiers exploits et partit pour Streleska. Le trajet s’effectua rapidement : le Phlégéton, pressé de retourner prendre la Lave et la Tonnante, nous fît constamment filer sept nœuds.


V. — LE RETOUR.

Nous voilà donc revenus à Sébastopol, et n’attendant plus qu’un ordre pour fuir à tout jamais, il faut l’espérer, un pays désolé par la plus terrible des guerres. Depuis la conclusion de la paix, l’aspect de la Crimée est moins triste cependant. Le canon ne fait plus entendre son tonnerre, Russes et Français fraternisent, et de plaisans épisodes se succèdent. Les soldats des deux nations boivent à la prospérité réciproque de la France et de la Russie : ils chantent à faire frémir les échos ; ils se racontent, chacun dans sa langue, — et, chose curieuse, ils se comprennent, — les scènes dramatiques qui se sont passées de part et d’autre, et ne se quittent que pour revenir échanger de nouveaux toast le lendemain. Les officiers russes font à Kamiesh de nombreux achats ; ils manifestent l’étonnement profond où les plonge la vue d’une ville florissante, élevée comme par enchantement autour d’un port magnifique, pendant qu’eux avaient eu à subir des privations de toute sorte derrière leurs retranchemens.