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Montaignac de Chauvance, nommé capitaine de vaisseau, remit le commandement de cette batterie flottante à M. le capitaine de frégate d’Harcourt, et s’embarqua sur le Phlégéton, en partance pour Kamiesh. De là, M. de Montaignac devait prendre un bâtiment qui le ramènerait en France, où il était rappelé. Si jamais commandant sut conquérir l’estime et le dévouement de son état-major, certes ce fut M. de Montaignac de Chauvance. Possédant au suprême degré l’art de se faire aimer des équipages, il eût d’un mot obtenu même l’impossible. C’était de la vénération qu’on éprouvait pour lui. La confiance, quand elle est inspirée par une capacité notoire, est un levier des plus puissans. L’état-major sentit très vivement la perte qu’il allait faire, et tout en manifestant la joie qu’il éprouvait de voir son digne chef rentrer dans ses foyers après avoir largement payé son tribut à la guerre, il regrettait que cette juste compensation ne fût pas plus tardive. Rassemblé sur le pont, l’équipage, la tête découverte, forma la haie sur le passage du commandant qui allait s’en séparer. M. de Montaignac, adressa ses adieux à tous avec l’expression d’un sincère contentement pour les services rendus. La baleinière du capitaine était loin déjà, que les hourras de l’équipage vibraient encore. Un jeune officier, M. de Raffin, nous quittait en même temps que M. de Montaignac. Hélas ! il ne devait plus mettre le pied sur la terre de France. Il avait échappé aux chances malheureuses d’un combat, à tous les périls auxquels l’avait exposé sa mission sous la forteresse pendant la nuit qui avait précédé la reddition de la place, et c’était pour mourir en mer, tué par les suites de l’hivernage de Kinburn ! Les regrets unanimes que fit éclater parmi nous la triste nouvelle de cette mort prématurée disaient assez de quelle haute et affectueuse estime nous entourions tous ce jeune officier, en qui je perdais un brave et cher camarade.

Quelques jours plus tard, une dépêche, datée du vaisseau le Napoléon le 28 février, venait nous apprendre que le maréchal Pélissier était invité à conclure un armistice dont l’effet devrait cesser le 31 mars. Les batteries flottantes, d’après les ordres du commandant Paris, profitèrent de cette trêve pour se diriger sur la petite baie de Tendra, située dans une position plus salubre que celle où nous étions mouillés. Le but de cette excursion était de procurer aux équipages atteints du scorbut des distractions devenues nécessaires, comme aussi de les placer sous l’influence bienfaisante d’un air plus pur. La Dévastation partit la première. Pendant son séjour, qui, du 12 au 27 mars, fut marqué par une température assez douce, je visitai les deux îles de cette baie, Orlov et Dolghi. Comme la plupart des points du territoire moscovite dans la Mer-Noire, le terrain est