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célébrée ainsi entre le ciel et l’eau, sur le glorieux théâtre où sont tombées les victimes ; il n’est personne qui n’éprouve le besoin de proclamer hautement son respect pour tous ceux qui, loin de leur famille, sacrifient si noblement leur existence à la grandeur de la patrie.

La prière et l’aspersion terminées, les corps furent déposés dans le grand canot, suivi d’un long convoi d’embarcations. Arrivés à la plage, les hommes du canot portèrent les cercueils à bras jusqu’à la fosse creusée dans les talus des fossés extérieurs de la forteresse. Après une courte et dernière prière, la terre se referma, et une humble croix de bois blanc fut plantée sur la sépulture des deux courageux marins.

Les batteries flottantes anglaises entrèrent sur rade dans la matinée du 19 octobre, remorquées par deux frégates. Arriver quarante-huit heures trop tard, c’était jouer de malheur ; elles repartirent immédiatement, sans même se donner la peine de jeter l’ancre, et se promettant bien sans doute d’avoir un jour leur revanche.

Avant d’entrer dans le liman du Dniéper, la Dévastation reçut l’ordre de remettre ses blessés aux divers vaisseaux de l’escadre qui lui furent désignés. Cette évacuation se fit avec une certaine solennité : couchés dans leurs cadres, les blessés, hissés par le grand panneau, passaient devant la garde assemblée, qui leur partait les armes pendant que le tambour battait aux champs. Les officiers se découvraient à leur passage, et le commandant de Montaignac de Chauvance adressait à chacun de ces braves marins quelques bonnes paroles d’encouragement. On les transportait ensuite dans les canots, qui partaient aussitôt pour leur destination. Les batteries flottantes la Lave et la Tonnante, devant lesquelles les blessés étaient obligés de passer, avaient également rassemblé sur leur pont la garde et les tambours.

Le 25 octobre, nous faisions notre entrée dans le Dniéper. Le mouillage assigné à chacune des batteries préservait d’une attaque des Russes la forteresse de Kinburn, où il importait de pouvoir s’établir avec sécurité, puisque les amiraux avaient décidé, de concert avec le général Bazaine, qu’on hivernerait dans la presqu’île. Un seul régiment, le 95e de ligne, qui sut se faire une si belle page dans la guerre d’Orient par le combat du pont de Traktir, devait rester préposé à la garde de notre conquête. Pour faciliter la défense de la place, les vaisseaux mirent à terre plusieurs canons de 30, et les batteries flottantes complétèrent cet armement avec six pièces de 50. Quant aux Anglais, ils ne laissèrent derrière eux que leur pavillon, flottant sur le bastion, de la pointe extrême : l’armée anglaise n’était pas assez forte pour se démembrer, et la division maritime