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pas de se répéter, il ne cherchait pas à faire de la musique forte, il vivait dans cet aimable pays de Venise, le plus gai de l’Italie et peut-être du monde. Le résultat de ce caractère des Vénitiens, c’est qu’ils veulent avant tout, en musique, des chants agréables et plus légers que passionnés. Ils furent servis à souhait dans l’Italiana ; jamais peuple n’a joui d’un spectacle plus conforme à son caractère, et de tous les opéras qui ont jamais existé c’est celui qui devait plaire le plus à des Vénitiens : aussi, voyageant dans le pays de Venise en 1817, je trouvai qu’on jouait, en même temps l’Italianain Algieri à Brescia, à Vérone, à Venise, à Vicence et à Trévise. » C’est pour la Marcolini que Rossini a composé le rôle délicieux d’Isabella, c’est pour Galli qu’il a écrit celui non moins remarquable de Mustafa. Un ténor qui notait plus jeune, Gentili, chantait la partie de Lindoro, et un nommé Rosich, qui est mort en Amérique, où Garcia l’avait engagé, jouait le personnage de Taddeo. Galli, une des meilleures basses profondes qu’ait produites l’Italie, chanteur et comédien éminent qu’on a si longtemps admiré au théâtre Louvois, est mort à Paris il y a trois ans. Quant à la Marcolini, elle était née à Vérone, ainsi que la Malanotti, qui a créé le rôle de Tancredi. D’une physionomie charmante, et la cantatrice bouffe la plus parfaite qu’on ait entendue, la Marcolini vivait encore en 1854, à Prato, près de Florence. Voilà pour quels artistes Rossini a composé ce délicieux chef-d’œuvre de l’Italiana in Algieri, d’une gaieté si franche et si bénigne, tempérée d’une suave mélancolie. Savez-vous bien qu’il se dégage de la partition de l’Italiana comme un parfum exquis du génie de Mozart qu’aurait respiré celui de Rossini ? On retrouve l’influence secrète et bienfaisante de l’auteur de Don Juan, non-seulement dans certains détails de l’instrumentation, comme l’emploi fréquent du basson dans certains passages que nous nous dispensons de citer, mais encore dans l’accent et la pureté sereine des mélodies. Écoutez, par exemple, ce petit fragment de trio que chantent Lindoro et les deux femmes qu’il tient par la main au commencement du finale du premier acte. C’est du Mozart avec son sourire baigné de larmes. On dirait un de ces petits trios que chantent les génies dans la Flûte enchantée. Il faut reconnaître que Stendhal a saisi cette parenté furtive des deux grands musiciens, car il dit en parlant du passage de l’Italiana que nous avons cité : « Jamais il n’y eut de chant plus frais et plus délicat que celui de Lindoro qui entre avec la femme du bey et son amie :

Pria di dividerci de voi signore.


« Voilà un effet que Mozart et Cimarosa peuvent envier. « Ce n’est pas mal pour un amateur. Du reste, Stendhal a assez bien apprécié tout l’opéra de l’Italiana, qui répondait à la désinvolture de son esprit et à son goût pour la vie facile de l’Italie. Avons-nous besoin de signaler les morceaux remarquables de cette partition, qu’on ne supposerait pas être âgée de quarante-cinq ans, tant il s’en exhale de jeunesse et de fraîcheur printanière ? Quoi de plus gai et de plus facile que l’ouverture et l’introduction ; l’air du ténor,

Languir per una bella ? »


le duo pétillant de verve entre Mustafa et Lindor,