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qui ont été contre lui autrefois. Au milieu de ces variations et de ces oscillations, on voit les ministères paraître et disparaître, les uns parce qu’ils sont réactionnaires, les autres parce qu’ils sont libéraux. Est-ce à dire que l’ensemble des doctrines du parti modéré n’existe plus, et que l’efficacité de ces doctrines n’ait pas pour elle la sanction de l’expérience ? Le terrain net et précis du parti modéré espagnol, c’est toujours incontestablement la constitution de 1845 ; ce que l’Espagne a eu de paix depuis plus de dix ans, elle l’a dû aux principes conservateurs. Malheureusement c’est la cohésion qui manque parmi les hommes, et le parti modéré s’énerve dans un morcellement indéfini à travers lequel on distingue fort bien des velléités de réaction qui se dessinent sans oser s’avouer ouvertement, ou sans pouvoir atteindre leur but. On a souvent cherché les causes des désunions du parti modéré : il peut y en avoir beaucoup, et les passions personnelles seraient certainement du nombre ; mais il en est une surtout depuis un an, c’est le congrès actuel, qui ne représente nullement l’opinion conservatrice dans ce qu’elle a de vrai et de sérieux, qui représente plutôt ces velléités de réaction dont nous parlions. Le ministère Isturitz n’est pas plus sûr de vivre avec ce congrès que le ministère auquel il succède, et si le parti conservateur espagnol veut garder l’ascendant que la force des choses lui a rendu, il est temps qu’il se reconstitue, qu’il retrouve ses idées, ses hommes et son activité.

On ne peut le nier, les affaires de l’Amérique ont un aspect tout particulier dans l’ensemble des choses contemporaines. Ce n’est pas un monde formé et régulièrement organisé, c’est un monde qui se forme et qui en attendant, passe par toute sorte de péripéties, guerres de races et de castes, révolutions bizarres, crises matérielles, invasions de la force brutale. Tous les jours, on voit se succéder des épisodes nouveaux du nord de l’Amérique jusqu’aux gorges inaccessibles de la Bolivie, au sud du continent. Il s’est développé surtout depuis quelque temps aux États-Unis un fait que l’on connaît bien et qu’on ne saurait trop observer ; une puissance nouvelle est née, c’est celle des flibustiers, des écumeurs de terre et de mer, cherchant partout un butin, une conquête à faire. Les flibustiers ont une théorie toute faite, d’après laquelle, lorsque deux races, l’une puissante, l’autre faible, vivent côte à côte, la première doit nécessairement absorber la seconde pour le plus grand bien de la civilisation, et pour remplir les fins de la Providence. Après cela, si on les flétrit d’un nom injurieux, ils s’en consolent en songeant qu’on voulut ridiculiser par le surnom de têtes-rondes les adversaires et les vainqueurs de Charles Ier d’Angleterre ; Et voilà comment Walker, le général Walker, comme on l’appelle aux États-Unis, débarquait de nouveau, il y a peu de temps, dans le Nicaragua, d’où il avait été précédemment expulsé. Cet aventurier, qui, d’après le témoignage récent d’un voyageur, est petit, grêle, sans moustaches, avec des cheveux roux et des yeux verts, ne regardant pas en face, mais qui est doué d’une singulière audace, n’avait point eu de trêve qu’il n’eût organisé une expédition nouvelle contre le Nicaragua. Walker avait presque réussi ; il avait trouvé de l’argent et des hommes, il avait échappé à la surveillance peu active des autorités de l’Union, et il était parvenu à mettre le pied sur le sol de l’Amérique centrale, à Punta-Arenas, après avoir déposé sur un autre point une partie de sa bande. Malheureusement l’audace n’a pas toujours sa récompense, et