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M. de Salvandy avait commencé sa carrière avec un singulier éclat, comme soldat au déclin de l’empire, comme publiciste au début de la restauration. En ces jours pénibles de 1815, il faisait cette œuvre de courage la Coalition et la France, sorte de protestation éloquente contre les excès de l’invasion ; il fut même menacé par les alliés : le roi le couvrit de sa protection, et fit bientôt de lui un auditeur au conseil d’état. Plus tard, M. de Salvandy fut mêlé à toutes les polémiques de la restauration ; plus tard encore, après 1830, il fut député, ministre et ambassadeur, puis exilé en 1848, et à la fin de sa vie il se retrouva tout à coup ce qu’il avait été d’abord, simple homme de lettres, corrigeant et rééditant les ouvrages mêlés à sa carrière active, l’Histoire de Jean Sobieski, le roman de Don Alonzo, le livre politique qui a pour titre Vingt Mois ou la Révolution et le parti révolutionnaire. C’étaient là ses titres académiques, comme ses titres à la considération universelle sont dans une vie pleine d’honneur, dévouée à une même cause et à toutes les idées élevées.

Quelle carrière plus différente que celle de M. Emile Augier ! L’auteur, de Gabrielle n’est point arrivé là où il est à travers les luttes de la politique ; il y est arrivé par la littérature, presque sans effort, et porté en quelque sorte par une faveur secrète qui s’est attachée tout d’abord à son talent. Il s’est révélé un jour par la Ciguë, œuvre pleine de fraîcheur, de grâce et d’élégant enjouement, où l’on respire comme un parfum antique un peu mêlé toutefois de parfum plus moderne. Depuis ce moment, tout lui a souri ; le succès a suivi presque toutes ses tentatives au théâtre, il était adopté, et cela suffisait presque. Ce succès, M. Emile Augier l’a dû sans doute à la qualité de son talent d’abord, au soin qu’il met dans ses ouvrages, et un peu aussi aux circonstances, comme M. Ponsard, son contemporain. Il est venu dans un moment où les excès du théâtre avaient engendré une sorte de lassitude : il n’a point purgé et régénéré la scène comique, ce qui serait l’œuvre d’un Molière ; mais il y a porté un esprit modéré et enjoué, un sens net, une ironie droite, en un mot un ensemble de qualités faites pour soulager le sentiment public, si bien que, de succès en succès, il se trouve aujourd’hui à l’Académie à l’âge où les hommes les plus éminens y arrivent à peine. M. Lebrun, et c’est la partie la plus ingénieuse, la plus animée de son discours, a successivement apprécié avec autant d’habileté que de finesse les comédies de M. Emile Augier, la Ciguë, Gabrielle, Philiberte ; il n’a point reculé même devant le Mariage d’Olympe, sauf à faire des restrictions. C’était une chose nouvelle et un embarras évident pour M. Emile Augier d’avoir à raconter la vie de M. de Salvandy. Il a su passer à travers tous les obstacles, décliner les points difficiles, arguer à propos de son incompétence, en disant tout ce qu’il avait à dire avec esprit et convenance. Il a emporté sa réception à l’Académie comme un succès au théâtre, quoique ce ne fût nullement une comédie. Et M. Emile Augier, lui aussi, malgré sa circonspection, a voulu aborder cette grande et souveraine question de l’alliance des lettres et de la politique, dont M. de Salvandy était une personnification. En véritable homme de lettres, M. Emile Augier a voulu prouver que tout l’honneur de l’alliance était pour la politique, et comme il parlait devant d’anciens hommes d’état qui sont en même temps de grands écrivains, il a spirituelle-