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un jeune homme qu’elle connaît à peine, presque un enfant. C’est à l’amoureux naïf et confiant de sa nièce qu’elle révèle ces tristes secrets de la désaffection et de la courte durée de l’amour. Cette scène est une des plus audacieusement immorales qu’on ait jamais mises au théâtre.

Comment Jacques et Hermine se sont-ils rencontrés ? Comme les bergères rencontrent les fils de rois dans les contes de fées, sur le grand chemin. Jacques passait, Hermine l’a vu ; les deux jeunes gens se sont aimés. Glissons cependant sur cette légère invraisemblance, en remarquant toutefois que l’orgueilleuse marquise d’Orgebac n’est pas aussi ridicule que veut le faire croire M. Dumas, lorsqu’elle prétend qu’on n’épouse pas un homme qu’on rencontre sur le grand chemin. Bref, les jeunes gens s’aiment, et ils se marieront, car toute la famille prête la main à leur amour, à l’exception de la vieille marquise, la grand’mère d’Hermine, la seule personne qui en dépit de ses préjugés ait le sens commun dans ce groupe de têtes légères. Tous ces personnages en effet sont à la fois faux et vrais, et n’ont, pour ainsi dire, qu’une moitié de vérité. Ainsi l’auteur a mis en scène un certain comte d’Orgebac, pair de France, dont le caractère nous reporte aux dernières années de la monarchie. C’est un vieux gentilhomme qui n’a pas songé à résister à son siècle, qui s’est rapproché de lui, a pris ses habitudes bourgeoises et adopté ses mœurs nouvelles. Il y a beaucoup de détails vrais dans ce caractère, que l’auteur n’a pas cependant compris jusqu’au bout. Les plaisanteries que le comte d’Orgebac dirige contre la noblesse en général et contre ses ancêtres en particulier sont à la fois choquantes et fausses. Que M. Dumas sache bien qu’un gentilhomme peut consentir à tout, sauf à bafouer sa naissance, et qu’aussi bourgeois qu’il soit devenu, il n’entend jamais raillerie sur sa noblesse. Mais le caractère le plus étrange de la pièce est celui d’Hermine. M. Dumas semble avoir sur les jeunes filles les plus singulières idées ; il les présente comme de petits démons pleins de décision, de fermeté et d’entêtement. Voilà la troisième fois qu’il leur prête ce caractère invraisemblable, car Hermine est la digne sœur de Marcelle du Demi-Monde et de Mathilde de la Question d’argent. Cette jeune fille n’a pas été élevée à l’école du respect ; elle est résolue à tout, même à envoyer du papier timbré à sa grand’mère, et cette force d’âme ne la rend pas fort intéressante. Tout le monde avait cru jusqu’à présent que le caractère des jeunes filles consistait à n’en pas avoir ; M. Dumas pense le contraire, mais nous ne pouvons nous ranger à son avis.

Arrive un certain Aristide Fressard, notaire de province, ami d’enfance de Clara Vignot, dans lequel M. Dumas a modernisé assez ingénieusement cet ancien type de convention du théâtre et du roman, l’homme bienveillant et sensible. Il est fort grossier cependant