Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/719

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

non comme le prologue du drame. Lorsque le rideau se relève, le spectateur se trouve donc un peu déconcerté, et il lui faut un certain temps pour effacer le prologue de son esprit et se persuader que le drame vient seulement de commencer. Mais le plus grand défaut de la pièce ne consiste ni dans cette absence de conception, ni dans ce désordre de composition ; il consiste dans les caractères. Ce ne sont pas les caractères qui éveillent l’intérêt du spectateur, ce sont les situations dans lesquelles ils se trouvent ; ces caractères n’ont en eux rien qui appelle la sympathie, et l’émotion qu’ils nous arrachent n’est pas supérieure à celle que nous font éprouver les souffrances d’un être qui nous est indifférent, ou les accidens que nous rencontrons, sur notre passage, dans les rues de Paris. Jacques Vignot et sa mère nous inspirent juste le même genre d’intérêt que nous inspire une grisette dont on vient de nous apprendre le suicide, ou un pauvre couvreur qui vient de tomber des toits ; nous les plaignons non parce que nous avons une raison morale de nous intéresser à eux, mais parce que ce sont des créatures humaines qui saignent et souffrent, et que notre âme physique se révolte et se trouble devant le spectacle de la douleur. Tous les personnages de la pièce de M. Dumas sont la banalité et la vulgarité mêmes, et quand ils essaient de sortir de cette banalité, ils deviennent aisément odieux. En cela, du reste, ils sont parfaitement conformes à la nature humaine ; quand les âmes communes essaient de secouer la vulgarité pour laquelle elles ont été faites, elles sont punies de cet orgueil mal placé en devenant immédiatement haïssables. Tels sont les personnages du Fils naturel ; quand ils ne sont pas insignifians, ils sont odieux. Dans cette pièce, les situations dominent donc de beaucoup les caractères. Je ne nie pas qu’on ne puisse intéresser avec des situations seulement, et sans le secours des caractères ; mais encore une fois cet intérêt est tout physique, et il n’est pas besoin d’aller au théâtre pour le rencontrer. M. Dumas sait-il d’ailleurs quel nom on donne en littérature aux pièces où les situations sont tout, et les caractères rien ? Cela ne s’appelle pas un drame, cela s’appelle un mélodrame.

Au premier acte, nous assistons au décès d’un amour illégitime. Dans une petite chambre, où la propreté remplace le luxe, tout près d’un berceau où repose un enfant, fruit d’une passion sérieuse, vieille déjà de quatre ans, une jeune ouvrière, Clara Vignot, attend son amant, dont les visites deviennent de jour en jour plus rares et les caresses plus,languissantes. Cependant Clara ne doute pas du cœur de son amant. Il a promis de donner son nom à l’enfant ; elle a confiance dans ses promesses. L’illusion ne durera plus bien longtemps ; au moment même où elle exprime sa confiance dans les sermens trompeurs de Charles Sternay, celui-ci arrive. Dès son entrée,