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montrer les conséquences que cet acte d’égoïsme pouvait avoir sur la vie ultérieure de l’enfant, la fausse position dans laquelle il se trouvera placé par la faute d’un autre, les obstacles de toute nature que lui suscitera cette absence d’un nom honorable, la demi-exclusion à laquelle le monde le condamnera. Ce qui fait le malheur des enfans illégitimes, c’est que non-seulement ils ont à se plaindre de leur père, mais à se plaindre aussi des hommes et de la société. Or le fils naturel de M. Dumas ne peut se plaindre ni des hommes, ni de la société ; il a tout le bonheur que n’ont pas la plupart des enfans légitimes. Il est jeune, riche, séduisant, intelligent ; toutes les portes lui sont ouvertes, et tous les cœurs volent à son passage. Il rencontre une jeune fille charmante sur le grand chemin et s’en fait aimer à première vue ; il devient, par suite des sympathies qu’il inspire à un vieux pair de France, secrétaire d’un ministre qui lui confie d’importantes missions. Il obtient un succès politique européen. Quò non ascendet ! Pour récompense de ses services diplomatiques, il demande un consulat qui lui est aussitôt accordé, et il faut lui savoir gré de sa modestie, car du train dont il marche il aurait pu tout de suite se faire nommer ministre plénipotentiaire. Son titre de bâtard, loin de lui nuire, appelle au contraire sur lui la sympathie. Ce fils naturel n’a donc à se plaindre que de son père, et encore ce père, qui d’abord le repoussait, finit par le persécuter pour lui faire accepter un nom dont il ne veut plus. Je ne puis en vérité m’intéresser beaucoup aux malheurs d’un homme si heureux. Puisque le fils naturel ne peut se plaindre ni des hommes, ni de la société, ni même de son père, qu’a donc voulu prouver M. Dumas ? Plus j’y réfléchis, plus il me semble que la pensée de M. Dumas pourrait être résumée en ces termes : « Si vous avez des enfans naturels, hâtez-vous de les reconnaître, car un jour ils pourront vous faire le plus grand honneur dans le monde. » Si la pièce de M. Dumas a un autre sens, je ne l’ai pas saisi.

La composition de ce drame laisse beaucoup à désirer. Le ton des sentimens change sans transition d’acte en acte. L’émotion, au lieu d’aller en grandissant jusqu’au dénoûment, vous saisit violemment à la gorge dès les premières scènes, fait un long temps d’arrêt au second acte, revient brusquement au troisième, et disparaît dans les deux derniers, pour faire place à je ne sais quelle gaieté qui paraît souvent déplacée, sinon inconvenante, et qui même finit par révolter. — Ce n’est pas tout cependant : il y a deux premiers actes, ou, si vous l’aimez mieux, deux expositions, et c’est en vain que l’auteur a donné à son premier acte le titre de prologue. Si c’est un prologue, il est trop long, et je dirai même trop émouvant. Le spectateur voit là un commencement d’action dont il attend le développement. Il accepte ce premier acte comme l’exposition,