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ou dans un instant d’égarement passionné, mais de parti pris, avec préméditation, avec réflexion, avec la conscience pleine et entière de l’acte qu’elle commettra. Une seule chose pourrait l’arrêter, le devoir ; mais telle est sa situation que de ce côté elle se regarde comme libre et maîtresse absolue d’elle-même, le seul être envers lequel elle ait d’autres devoirs que des devoirs de convention ne lui ayant jamais, ni par ses discours, ni par sa conduite, imposé aucune obligation. Tous les traits de ce caractère remarquable sont indiqués dans le drame de M. Dumas, mais, hélas ! ils ne sont qu’indiqués ; il nous a peint le personnage extérieur, mais non le personnage moral. Au lieu d’un caractère profond, logique et vrai, nous avons une femme excentrique, bizarre, un personnage amusant en un mot beaucoup plus qu’émouvant. M. Dumas a passé à côté de son sujet sans le creuser et presque sans le comprendre. Cependant, malgré ses imperfections et ses invraisemblances, ce drame est, à mon avis, après le Demi-Monde, Je meilleur qu’ait produit M. Dumas, car c’est celui qui contient la donnée la plus poétique.

Le Fils naturel, très supérieur à la Question d’argent, reste, comme donnée et comme valeur littéraire, bien au-dessous de Diane de Lys et du Demi-Monde. C’est donc à la fois un succès et un échec : c’est un succès, si on compare ce nouveau drame à la comédie que nous avons vu représenter dans l’année qui vient de s’écouler ; c’est un échec, si on le compare aux anciennes productions dramatiques de l’auteur. Dans ce nouveau drame, vous retrouverez toutes les qualités et tous les défauts qui recommandent M. Dumas fils : c’est bien le même talent ingénieux et vif, plus énergique que vif cependant, plus brutal encore qu’énergique ; c’est bien la même sécheresse, la même abondance de mots longtemps cherchés et heureusement trouvés, la même absence ou, si l’on veut, le même dédain de toute poésie. Le réalisme y triomphe sur toute la ligne, ce qui ne rend pas le drame plus émouvant. Les personnages sont tellement réels, qu’ils en sont déplaisans, haïssables ou odieux. Il y a un très grand talent dramatique dans le Fils naturel, mais seulement dans les détails, dans certaines scènes et dans certains actes. L’ensemble, le plan de la pièce est défectueux autant qu’on peut le rêver. Ce drame pèche à la fois par la conception, par la composition et par les caractères. Au lieu de dire que le nouveau drame de M. Dumas pèche par la conception, il serait, je crois, plus simple de dire que la conception n’existe pas. J’ai écouté la pièce avec attention, je l’ai lue avec recueillement, et je ne comprends pas encore ce que l’auteur a voulu démontrer à ses spectateurs et à ses lecteurs. On pourrait croire et j’ai cru d’abord que M. Dumas avait voulu flétrir cette coutume, ou si vous voulez ce préjugé, qui défend au père de légitimer le fils né d’un amour défendu, qu’il avait voulu