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de reproduire ce qu’il voit, qu’il sache bien qu’il reproduit seulement des indications. Son œuvre ressemblera, si nous pouvons nous exprimer ainsi, à un recueil de notes et de pensées détachées jetées au hasard sur le papier pour accrocher la mémoire et faciliter le travail futur de la composition.

Tels sont les drames de M. Dumas fils. Ils abondent en indications, en notes ingénieuses qui font rêver à un beau livre qui n’est pas et ne sera peut-être jamais fait. Rendons cependant cette justice à M. Dumas : il n’a à son service qu’un instrument de daguerréotype, cela est vrai, mais il ne le braque pas indifféremment sur tout ce qui s’agite devant lui. Il n’imite pas certains dramaturges qui, dessinent pêle-mêle tous les bonshommes faux ou vrais, intéressans ou non, qu’ils voient défiler. Lui, il sait discerner ce qui est digne d ! attention et ce qui est digne de mépris. Son seul défaut est de s’en tenir à ce qu’il a vu, de ne jamais songer à faire usage de son imagination pour agrandir et transformer le sujet que la réalité lui offre. Grâce à ce discernement, ses indications de caractères, de personnages, de situations dramatiques, sont presque toujours heureuses ; mais ce ne sont malgré tout que des indications. La pièce de Diane de Lys est une preuve irréfutable de ce que j’avance. M. Dumas, qui ne se trompe guère sur le choix de ses sujets, s’il se trompe sur la manière de les traiter, avait eu cette fois encore la main heureuse. Quel admirable sujet pour un poète qui aurait su ou voulu en tirer tout ce qu’il renferme ! Comme les grandes créations de Shakspeare, Diane de Lys aurait pu être à la fois une individualité et un type. Ses excentricités, ses bizarreries, son caractère impérieux et décidé, suffisaient pour lui donner un cachet individuel bien marqué ; par ses passions et la situation morale où l’auteur l’a placée, elle représentait tout un grand côté de la nature féminine. C’est la femme qui se sent mourir sans avoir vécu, et qui en frémit d’indignation et de colère contenues. Le désir du bonheur, qui est d’autant plus vif chez le sexe faible qu’il n’a qu’un moyen de s’apaiser, s’accroît encore ici de toutes les tentations de la curiosité, et d’un certain besoin de vengeance à la fois très bizarre et très naturel au cœur féminine Diane de Lys pense et croit qu’elle a une revanche à prendre ; comme tous les caractères orgueilleux, elle est furieuse d’avoir été dupe et n’accepte pas le rôle de victime. Elle n’accepte pas davantage les consolations que lui offre le monde où elle vit, les adulations empressées, les flatteries faciles, les promesses de bonheur que viennent chuchoter à son oreille des convoitises intéressées et des désirs égoïstes. Son cœur, qui n’a jamais pu s’épanouir, restera probablement fermé à jamais, à moins qu’un jour, par un hasard fatal, elle n’entende un accent de passion sincère. Ce jour-là, elle se perdra, non pas par l’effet de l’entraînement