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en crois aucune, si ce n’est l’impatience de faire de jolis mots et d’en faire le plus possible. Il traite les caractères, les sentimens, les passions comme des domestiques à gage ; il les appelle quand il a besoin d’eux, les renvoie brusquement dès qu’ils le gênent, selon son bon plaisir, et sans s’inquiéter de savoir s’il est dans la vérité et dans la nature. Tout est ainsi pour le mieux dans le meilleur des Gymnases possibles, car M. Dumas a labouré avec fruit son petit jardin, qui est le succès. « On applaudit, que demandez-vous de plus ? pourrait, il est vrai, nous répondre quelque enthousiaste du fait accompli. Pensez-vous avoir raison contre tout le monde ? Faites donc comme tout le monde, et inclinez-vous. » Ma foi, non !

Une intelligence qui n’est dupe de rien ne pèche pas généralement par l’enthousiasme et par la sensibilité ; aussi n’avons-nous à accuser dans le talent de M. Dumas fils les traces d’aucun égarement de l’esprit et du cœur. Ses pièces se recommandent par une étonnante sécheresse. Son dialogue pétille de jolis mots, qui ressemblent aux étincelles nées du choc de deux silex bien durs. Çà et là il a des jets de passion, mais qui ressemblent aux flammes d’un feu de paille ou de bois mort. Contrairement à cette loi du théâtre, qui veut que les acteurs d’un drame exposent franchement leurs passions et laissent le spectateur lire dans leur âme, ses personnages semblent prendre à tâche de cacher autant qu’ils le peuvent leurs sentimens. Ils ont toujours l’air de redouter leur cœur, et en conséquence ils le compriment tant qu’ils peuvent, jusqu’à ce que cette compression produise quelque explosion violente et dramatique. M. Dumas a une préférence marquée pour les cœurs secs et pour les passions maîtresses d’elles-mêmes, qui savent calculer le succès et se contenir jusqu’à leur triomphe. Quant à la poésie, il n’en faut pas parler ; elle est complètement absente de ses drames. M. Dumas fils se laisse rarement aller à chercher une image, et en vérité il fait bien. Les quelques métaphores qu’on pourrait extraire de ses drames sont des modèles de pathos et de mauvais goût. Quelle est donc la grande qualité de M. Dumas ? Eh ! mon Dieu, la même qui recommande tous nos auteurs en vogue ; seulement il la possède à un degré supérieur. Il a l’œil bon, et il sait regarder ; il a l’oreille bien ouverte, et il sait écouter. Il possède un instrument d’optique et un instrument d’acoustique qu’il braque sur le monde parisien ; il voit, écoute et écrit. En un mot, M. Dumas est ce qu’on appelle aujourd’hui un réaliste. Il voit et il entend des choses curieuses ; qui en doute ? mais il se contente de ce qu’il voit et de ce qu’il entend. Si l’incident qu’il rencontre est dramatique, cela lui suffit ; si le personnage qu’il dessine a un extérieur original, il est satisfait. En vérité, je m’étonne que depuis huit ou dix ans qu’on discute cette