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rément, et qui ne peut laisser dans le cœur des fidèles que de honteux enseignemens. En somme, ce sont les plaisirs, les joies grossières que rappellent sans cesse aux adeptes les cérémonies de ce culte dans lequel la Divinité semble n’avoir revêtu la forme humaine que pour faire perdre à l’humanité tout sentiment de sa dignité. Il y avait dans la doctrine de l’amour divin, tel que le proclame la secte de Krichna, une donnée mystique, profonde et délicate ; mais la légende a étouffé l’idée philosophique et religieuse : dans l’imagination des Hindous, il n’est plus resté que la croyance en un héros divinisé qui offre à l’homme sur la terre l’exemple trop facile à suivre des plus extravagantes folies. Pour se faire une juste idée de ces fêtes du paganisme et de l’influence qu’elles exercent sur l’esprit des populations, il faut se transporter aux lieux où elles se célèbrent. La tiédeur des nuits d’été, la fraîche sérénité des nuits d’hiver, la molle clarté de la lune sur un ciel profond et illuminé d’étoiles, l’étrange aspect des pagodes peuplées de statues monstrueuses et bizarres qui font cortège à l’idole, le bruit aigu et strident des instrumens de musique auxquels semble répondre de loin le glapissement du chacal, tout contribue à produire sur les spectateurs l’illusion d’un rêve. Rien de précis dans les contours des objets ; partout un contraste d’ombre et de lumière qui trouble la vue, un murmure de voix graves et des clameurs joyeuses qui étourdissent les oreilles. Le dôme doré des pagodes reflète au milieu des ténèbres la lueur bleuâtre des feux d’artifice et la clarté vacillante des illuminations. Au milieu de la foule qui s’agite et pousse en avant dans son désir de voir, l’idole se dresse immobile avec ses gros yeux mornes et sérieux qui font peur à regarder. Jeunes gens et vieillards s’arrêtent à ses pieds, se prosternent et l’adorent. Puis, à mesure que se redressent les têtes noires et les têtes blanches qui ont touché la poussière, il semble qu’un courant électrique les ait frappées successivement. Une animation extraordinaire s’empare de la foule ; ceux chez qui les passions germent à peine et ceux chez qui l’âge les avait engourdies, emportés par une extase voisine de l’ivresse, s’abandonnent aux impressions toutes sensuelles qu’éveillent en eux la douceur infinie des nuits tropicales et le vivant souvenir du tendre Krichna. Quelle âme païenne résisterait à de pareils entraînemens, lorsque climat, religion, excitation du dehors, tout jusqu’à l’élan d’une piété dérisoire la convie à s’abîmer dans des pensées grossières ? Les danses achèvent d’exalter jusqu’au délire ces imaginations enivrées. Les chants répondent à la danse ; c’est toujours la même idée qu’expriment les mouvemens des danseurs, les vers des chanteurs, les cris frénétiques des femmes et des enfans, le son des instrumens à cordes, le roulement des tambourins ; cette