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une considération par laquelle il convient de terminer. Non, la France moderne n’est pas livrée tout entière au culte de l’or pour l’or ; elle ne cherche pas seulement un lucre facile et immédiat dans les mouvemens désordonnés du jeu et de la spéculation, elle s’agite pour un travail réel, et tente la réalisation d’affaires sérieuses, plus que cela, d’affaires propres à séduire l’imagination et à satisfaire les sentimens généreux. En effet, et c’est là ce qui caractérise son génie, ce qui éclate dans ses œuvres les plus importantes, le but positif qu’elle poursuit chez elle et loin d’elle est toujours un but de rénovation et de progrès, d’affranchissement matériel, si l’on peut ainsi parler, pour les classes nécessiteuses et les peuples moins favorisés des bienfaits de la civilisation ; il semble même, dans ces tentatives multiples, que le bénéfice soit pour elle d’un moindre prix que l’honneur d’avoir conçu une pensée neuve et de l’avoir mise à exécution. Cette disposition de l’industrie française est tellement notoire, qu’on pourrait reconnaître parmi nous une sorte de secte ou d’école de philosophie industrielle visant plus encore au renom qu’à la fortune et se parant plus de ses idées que de ses richesses. Assurément cela est bien, mais il faut plus encore. La spéculation sans l’industrie qui la justifie est coupable ; l’industrie seule, c’est-à-dire le culte des intérêts matériels sans la poursuite d’un idéal intellectuel et moral plus élevé, ne suffit pas à l’activité d’un grand peuple, et quel que soit le mérite éminent de l’industrie moderne, la France ne peut pas être et demeurer exclusivement industrielle. Il lui faut, et ce sont là les conseils que lui adresse l’honorable auteur des Manieurs d’argent, sans aller toutefois aussi loin que nous l’aurions souhaité, il lui faut un autre but à atteindre, un autre idéal à poursuivre. Plus heureuse que l’empire des césars, tombé de la prospérité matérielle la plus avancée dans la plus honteuse décadence, la civilisation moderne a pour remparts la religion du Christ et l’indépendance de la raison humaine, l’autorité et la liberté. Assouplir de plus en plus les âmes au joug nécessaire de la foi, assurer en même temps le libre et salutaire exercice de toutes les facultés humaines, parmi lesquelles les droits de la pensée doivent passer avant tous les autres, tel est l’idéal que nous ne devons jamais perdre de vue. En moment obscurci, il reprendra bientôt son prestige ; les préoccupations matérielles y ramènent elles-mêmes, on n’en saurait douter. Si l’industrie a besoin de sécurité, elle vit aussi d’indépendance, et on pourrait établir que de nos jours les pays où l’industrie est le plus avancée sont également ceux où la liberté civile et politique est le plus en honneur.


BAILLEUX DE MARIZY.