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petits chevaux de bois et un cocher de même matière placés sur le devant du char : a Nous célébrons les promenades que Krichna aimait à faire avec ses femmes dans la forêt de Vrindavan. »

La dépravation et le suicide, tel serait donc le dernier moi du culte de Krichna, le plus effrontément païen qui ait jamais existé ! Toutefois ces immolations volontaires ne sont pas prescrites par le rituel ; ceux qui se dévouent à la mort pendant la procession du char sont le plus souvent des gens de très basse caste impatiens de passer dans un monde meilleur ou curieux de savoir ce qu’il y a au-delà de cette vie. D’autres fêtes sont célébrées en l’honneur de Krichna, dans lesquelles la décence n’est pas mieux respectée, mais qui n’ont assurément rien de terrible. De ce nombre est la fête de l’escarpolette. Le dieu de Vrindavan prenait grand plaisir à se faire balancer par les filles des bergers, passe-temps fort agréable sous le climat brûlant des tropiques, durant les premières heures de la nuit, quand un vent plus frais fait frissonner les larges feuilles du cocotier. La commémoration de cet acte important de la vie de Krichna tombe le onzième jour de la lune du mois çrâvana (juillet-août). Au plancher d’une pagode est tendue une corde à laquelle on suspend un fauteuil en forme de trône ; sur ce trône, on place la divine poupée vêtue de ses plus riches habits. Un brahmane imprime à l’escarpolette un mouvement d’oscillation, et quand l’image du dieu a été suffisamment balancée dans les airs, on la reporte dans le sanctuaire, où la foule s’empresse de l’adorer en lui offrant des fleurs, des fruits, des parfums et des confitures. Jusque-là, rien que de puéril et de fort innocent ; mais voici que, hors des portes du temple, retentit une musique assourdissante : on croirait entendre un concert infernal exécuté par tous les animaux de la forêt. C’est la foule qui danse et se livre à d’affreuses bacchanales. Il ne faut pas oublier que ces cérémonies extravagantes commencent toujours après le coucher du soleil, et quelquefois elles se renouvellent durant cinq nuits consécutives. Vers deux heures du matin, après que les brahmanes ont été régalés dans un banquet splendide par le riche personnage qui fait les frais de la fête, des jeunes gens portant le costume de Krichna et celui de Radhâ, sa maîtresse, se mettent à danser deux à deux, et avec un tel emportement, qu’on les croirait animés de l’esprit du dieu dont ils célèbrent les folles aventures. Au mois de décembre, nouvelles cérémonies du même genre ; ce sont encore les jeux de Krichna avec les filles des pasteurs qu’il s’agit de retracer. Les divertissemens durent trois nuits au milieu du vacarme, des danses éternelles et du plus tumultueux désordre.

Ainsi se perpétue parmi ces peuples idolâtres le souvenir de tous les détails de la vie intime de Krichna, vie fort peu édifiante assu-