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un fléau social, d’en constater les envahissemens, d’en reconnaître le caractère et les élémens, d’en préciser surtout les progrès et par conséquent les dangers : qu’on en juge.

Peut-être serait-il opportun de traiter ici la question de la spéculation en général, et, sans se borner à l’humble comparaison qui vient d’être établie, de viser à l’appréciation philosophique du rôle social qui appartient à ce que M. Proudhon appela le génie de découverte, et à ce que M. de Vallée nomme le triste mobile des manieurs d’argent ; mais ne risquerait-on pas de s’égarer à ce sujet dans une digression oiseuse ? Pour s’en prendre à la spéculation proprement dite, il faudrait la séparer tout à fait de l’industrie, et c’est là ce qui est impossible, la raison le dit, et les faits le démontrent : ce qui se passe sous nos yeux en fournit la preuve évidente, la spéculation naît d’abord, l’industrie vient ensuite, de même que sur le terrain brûlant de la Bourse tel ne vise qu’à la spéculation qui se trouve industriel à son insu d’abord, puis prend goût à ce nouveau rôle et y persiste, l’écrivain démocrate voit à cet égard plus juste que le magistrat lorsqu’il ne sépare point l’industrie de la spéculation et qu’il confond dans un même anathème ceux qui exécutent et ceux qui projettent les entreprises industrielles, dont il donne la liste : seulement il accuse l’industrie d’être spéculatrice, lorsqu’il serait plus juste de prétendre que la spéculation est devenue industrielle. On publie trop aussi, dans les reproches adressés aux contemporains, ceux que nos devanciers ont mérités. Que n’a-t-on pas dit de l’empressement scandaleux des souscripteurs de nos jours à concourir, par pur amour des primes éventuelles, aux emprunts, aux entreprises nouvelles dont le capital se trouvait réalisé, dépassa même notablement au premier jour de l’émission ! Sans remonter aux actions du Mississipi, on trouvera de bien curieux spectacles. En 1818, en France, après une émission de rentes qui avait jeté en deux ans plus de 100 millions sur la place, 14 millions de rentes furent adjugés après une souscription qui s’élevait à huit fois cette somme, soit 123 millions de rentes. En Belgique, après 1830, une souscription publique produisit vingt fois le chiffre demandé. Était-ce dans ces deux circonstances patriotisme pu spéculation ? En tout cas nos souscriptions actuelles n’ont jamais atteint cette proportion. Nil sub sole novum.

Dans l’exposé qu’on vient de lire, nous avons mis sur le compte de la spéculation proprement dite tous les mouvemens d’affaires dont les bourses de France sont le théâtre. Il n’échappera à personne que nous avons voulu ainsi rendre la démonstration plus convaincante en l’exagérant. Qui ne sait combien toutes ces opérations d’achat et de vente, tous ces mouvemens de hausse et de baisse sont