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découvre pour ainsi dire les gisemens de la richesse, qui invente les moyens les plus économiques de se la procurer, qui la multiplie, soit par des façons nouvelles, soit par des combinaisons de crédit, de transport, de circulation, d’échange, soit par la création de nouveaux besoins, soit même par la dissémination et le déplacement incessant des fortunes. » La spéculation en un mot, c’est le génie de la découverte, et pour achever de démontrer qu’il ne se méprend pas sur sa nature, l’auteur du Manuel du Spéculateur ajoute : « La spéculation est donc essentiellement aléatoire comme toutes choses qui, n’ayant d’existence que dans l’entendement, attendent la sanction de l’expérience. »

Voilà certes un glorieux début, et la spéculation élevée à une hauteur où peut-être elle était loin d’aspirer ; mais quelle chute après ce triomphe, quels revers après cette fortune ! Suivez-la, cette faculté essentielle de l’économie, cette souveraine qui est la tête, lorsque le travail, le capital, le commerce sont réduits à n’être que les membres, à lui obéir en esclaves, suivez-la dans toutes ses entreprises, dans toutes les applications qu’elle a tentées parmi nous, et voyez ce que sont devenus en France les spéculateurs, ces héritiers directs d’Alexandre et de César, grands spéculateurs, comme le dit M. Proudhon. Chez nous, pas une entreprise que n’entachent la fraude et le dol, pas une affaire qui ne soit un piège : création d’usines, ouverture de mines, construction de chemins de fer, constitution de sociétés d’assurances. Dans toutes ces valeurs, analysées successivement par M. Proudhon et cotées à la Bourse, pas une où ce ne soit le cas de répéter la formule célèbre appliquée à la propriété, et de dire avec plus de justice encore : La spéculation, c’est le vol !

Cette conclusion doit, il est vrai, paraître étrange après l’exorde qu’on a vu, et c’est le cas de se demander si une faculté aussi belle que l’a décrite M. Proudhon n’a pu produire une seule conséquence acceptable pour les honnêtes gens ; ou elle ne méritait pas de tels éloges, ou les fruits n’en sont pas aussi amers. Évidemment l’auteur du Manuel du Spéculateur a exagéré le mal, et pour corriger les erreurs de la fin de son livre, il suffit d’en relire le commencement. M. Oscar de Vallée ne va pas aussi loin : il distingue entre l’industrie et la spéculation proprement dite. Lorsqu’aux yeux du premier de ces écrivains moralistes toutes les entreprises commerciales et industrielles paraissent aujourd’hui frauduleuses et léonines, l’honorable avocat général à la cour de Paris veut bien reconnaître qu’il existe encore en France des hommes qui doivent leur richesse au travail sérieux et à l’économie ; il ne prend à partie que les joueurs, les agioteurs, les parvenus du hasard ou de l’intrigue, en un mot