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mais les effets bizarres, inattendus, et jusqu’aux jeux de l’esprit, où il excelle, ses habitudes premières ont laissé des traces sensibles et regrettables dans ses meilleurs ouvrages. M. Decamps n’est presque jamais irréprochable, et on aurait souvent beau jeu à le trouver en défaut. Je n’admire certes pas ses imperfections, et ma sympathie pour son talent ne me porte pas à les celer. Ses défauts, que je vois, ne m’empêchent pas d’apprécier ses éminentes et rares qualités. La saveur un peu âpre de ce talent ne me déplaît pas, et je préfère de beaucoup ses moindres ouvrages, quelque incomplets qu’ils soient, aux irréprochables niaiseries qu’on nous donne tous les jours pour des chefs-d’œuvre.

M. Decamps s’explique lui-même sur le goût qu’il eut de tout temps pour la peinture de style, sur les tentatives qu’il fit à plusieurs reprises et de plus en plus dans ce sens. « J’essayai divers genres… Lorsque j’exposai cette grande esquisse de la Défaite des Cimbres, je pensai fournir là un aperçu de ce que je pourrais concevoir ou faire. Quelques-uns, le petit nombre, la parcelle, approuvèrent fort ; mais la multitude, l’immense majorité qui fait la loi, n’y put voir qu’un gâchis, un hachis, suivant l’expression d’un peintre alors célèbre, et que la France aujourd’hui regrette, à ce que j’ai lu quelque part… Je vous ai parlé des Cimbres parce que ce sujet était caractéristique de la voie que je comptais suivre ; mais le peu d’encouragement que je trouvai d’abord, le caprice, le désir de plaire à tous, que sais-je encore ? m’en ont plus ou moins détourné. Je demeurai claquemuré dans mon atelier, puisque personne ne prenait l’initiative de m’en ouvrir les portes, et malgré ma répugnance primitive, je fus condamné au tableau de chevalet à perpétuité. Je vis avec chagrin tous mes confrères chargés successivement de quelque travail sur place. Là était mon lot, là était mon aptitude ; pour moi, un tableau à l’effet était un tableau fait ; un tableau de chevalet ne l’est jamais. Et pourtant je forçai ma nature. Sans doute les chétives productions qu’enfantait mon génie étaient peu propres à donner de mon imagination une idée bien relevée. Je le sentais, et je donnai le jour en diverses fois à de grands dessins et compositions ; mais ce fut en vain… J’exposai, il y a une dizaine d’années, une série de dessins vivement exécutés et par des procédés divers (histoire de Samson). J’espérais démontrer que j’étais susceptible de développement. Ces compositions, très diversifiées de contexture et d’effets, présentaient cependant un ensemble homogène dans sa variété… Les dessins furent fort loués sans doute, au-delà même de leur mérite certainement : un amateur distingué me les acheta généreusement ; mais ni l’état, ni aucun de nos Mécènes opulens n’eurent l’idée de me demander un travail de ce genre. Et pourtant l’esprit d’invention ne me manquait pas, et j’aurais