Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

neurs de l’apothéose, les populations, moins intéressées à rechercher la vérité, adoraient avec ferveur les dieux qu’on leur faisait toucher au doigt. Les femmes de toutes les conditions se prenaient d’un amour passionné pour le tendre Krichna ; la jeunesse l’acceptait comme sa divinité favorite. Les populations, naturellement insouciantes, mais portées à la dévotion, trouvaient dans le culte nouveau un charme d’autant plus grand qu’il les délivrait des menaces terribles et des capricieuses colères du dieu Civa, symbole d’un naturalisme aveugle et inintelligent. Elle ne pouvait manquer d’attirer à elle les cœurs faibles, cette divinité affectueuse qui pardonnait tous les écarts des sens et promettait des récompenses éternelles à tous les hommes de bonne volonté, sans même les obliger au repentir de leurs fautes. Ainsi les savans et les ignorans, les chefs de secte et les gens du peuple se prêtaient un mutuel secours pour fortifié une doctrine sur laquelle ils ne s’entendaient qu’en apparence. De là le développement rapide du culte de Krichna, qui se répandait dans l’Inde comme un double courant, sous l’influence duquel le sensualisme s’exaltait au moins autant que le mysticisme.

C’est que l’idée cachée sous l’allégorie était comprise d’un petit nombre de brahmanes. Le reste de la population s’en tenait à la légende, aux faits romanesques, sans se préoccuper du symbole, ni de la morale. D’ailleurs, celle que l’on pourrait dégager de l’histoire même de Krichna se trouve trop souvent démentie par les actes du héros divin. Le râdja qui prendrait pour modèle le roi de Mathura avant et après son avènement au trône laisserait un nom que l’Asie glorifierait peut-être, mais l’Europe le jugerait sévèrement. Les poètes qui ont choisi la jeunesse de Krichna pour texte de leurs chants ont pu produire des œuvres de talent où abondent les comparaisons gracieuses et les images saisissantes ; mais notre civilisation chrétienne repousse ces compositions érotiques qui font la joie et même l’édification des peuples païens. L’histoire nous apprend qu’il y eut dans le petit pays de Mathura, avant l’invasion de l’islamisme, comme l’efflorescence d’une civilisation très raffinée qui avait sa source dans les pratiques d’une religion facile et adoucie. Le culte de Krichna portait les esprits à la rêverie, les âmes à la quiétude, mais il énervait les cœurs. Les jeux et les danses n’ont jamais éveillé chez les peuples l’amour d’aucune sorte de vertus. Toutefois la preuve que cette religion sensuelle était en harmonie avec la corruption des sociétés indiennes, c’est que le nom de Krichna avait valu, dès les temps anciens, une immense célébrité au pays de Mathura et à la forêt de Vrindavân. On y venait en pèlerinage de toutes les provinces de l’Inde. En 1018, Mahmoud le Gaznévide, emporté par cette haine terrible que les mahométans ont