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pauvre homme marche péniblement courbé sous son fardeau. Il fait nuit close ; l’occident est à peine éclairé d’une faible et dernière lueur. La saison est mauvaise, l’air froid, la campagne lugubre ; la journée trop courte n’a pas suffi à son labeur. Il rentre tard et fatigué dans sa cabane solitaire. On sent qu’il ne trouvera au retour ni femme, ni enfans, ni repas préparé, ni feu pour réchauffer ses membres roidis par l’âge et par le froid. Il va finir tristement cette triste journée ; il achève avec résignation une longue vie de travail et de misère. Dans la Mort et le Bûcheron, la pensée de l’auteur est également exprimée d’une manière saisissante. Le malheureux ne veut pas s’en aller. Accablé de jours, il demande un nouveau délai, et montre à la Mort son fagot qu’il veut rapporter au logis. On n’en a jamais fini avec l’espérance ! Le paysage, à peine indiqué, est lui-même triste et sévère. M. Decamps a souvent montré l’homme aux prises avec l’adversité. Il excelle à rendre les scènes pathétiques et à compléter, par les détails et par l’effet général de la composition, l’impression qu’il veut produire. Cette concordance parfaite de l’homme avec la nature qui l’environne, avec l’air qui l’enveloppe comme un habit taillé pour son corps et qui lui sied, est toujours indiquée avec beaucoup de force par cet esprit où la fantaisie la plus libre s’allie à la plus inflexible logique. Qu’on se rappelle le charmant tableau représentant un homme cherchant des truffes : ce n’est que de la musique de village ; mais l’air est du cru, et l’instrument d’accord.

M. Decamps n’est pas moins heureux dans ceux de ses ouvrages où il se rapproche des naturalistes et des Flamands, et dont la vérité fait tous les frais. Dans les Matelots espagnols jouant aux cartes, les Joueurs de boule sur une grève, le Jeu de tonneau, la pensée est arrêtée, définie, facile à saisir, et qu’il l’exprime avec le pinceau » le crayon, le pastel ou les mille moyens qu’il aime à combiner et à confondre, l’œil est satisfait comme l’esprit. Il en est de même dans les compositions où il donne carrière à sa verve railleuse. Je ne citerai que l’Ivrogne et sa Femme et les sujets empruntés à l’histoire de don Quichotte, qu’il a retournée dans tous les sens. Je ne crois pas que l’illustre hidalgo de la Manche et son ami Sancho aient jamais été représentés avec plus de verve et d’esprit.

Au-dessus des compositions que je viens d’analyser se place un groupe d’ouvrages qui, par les dimensions et la nature des sujets, appartiennent encore au genre sans doute, mais qu’une pensée forte ou poétique, une facture plus large et plus sobre en distinguent. On pourrait définir la peinture de genre une peinture à laquelle manquent en tout ou en partie les grandes qualités de l’art, l’importance et l’élévation du sujet, la force, la noblesse de la composition, là beauté,des types, des gestes, des ajustemens, mais qui rachète