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et les planches qu’il a publiées d’après ses tableaux, le Corps de Garde turc et les Anes dans une ville d’Orient, sont excellentes. Je regrette qu’il n’ait pas donné suite à ces essais : la manière admirable dont il comprend le clair-obscur l’aurait fait réussir dans ce bel art, porté si loin par Rembrandt et tant abandonné de nos jours. J’en ai à peu près fini avec la partie légère de l’œuvre de M. Decamps. On ne peut cependant passer sous silence ses scènes de travestissement, dont plusieurs ont été popularisées par la lithographie. Personne n’a oublié ses chiens savans, ses singes de toute espèce, satires vives, spirituelles, mordantes des ridicules et des travers humains. Le grotesque, la laideur, la grimace ne sont pas sans doute les sujets naturels de l’art : ils lui appartiennent cependant lorsqu’ils sont revêtus des qualités de composition et de dessin qu’on est bien forcé de reconnaître dans tout ce qu’a fait M. Decamps. Les Singes experts, exposés au Salon de 1844, sont peut-être le chef-d’œuvre du genre. La couleur en est fine et légère comme la pensée. On assure que M. Decamps fit ce tableau par rancune, et sous l’impression de quelque sévérité du jury. La vengeance dépasse l’offense assurément. Le Singe peintre, le Singe se regardant dans un miroir, les Singes musiciens, sont également de spirituelles boutades de cet esprit mordant. Depuis que son talent s’est agrandi et complété, M. Decamps a presque abandonné ce genre de sujets. Il y revient pourtant encore quelquefois. On trouve dans ses deux grands pastels, les Singes boulangers et les Singes charcutiers, qui datent de ces dernières années, des qualités de premier ordre. Dans les Singes boulangers surtout, le comique résultant de l’expression de la fatigue et de l’ennui qu’éprouvent ces fantasques animaux condamnés au plus fastidieux des labeurs est indiqué avec beaucoup de verve et de bonheur.

En arrivant à la partie la plus importante de l’œuvre de M. Decamps, il convient d’aller au-devant d’une objection que pourrait soulever la classification adoptée dans cette étude. Cette classification est loin d’être d’une exactitude rigoureuse, mais elle est logique, et, en n’y regardant pas de trop près, elle suit même assez bien l’ordre des temps. Je sais que M. Decamps a fait dès sa jeunesse de bons tableaux qu’il ne désavouerait point aujourd’hui, que d’une autre part il n’a abandonné ni le fusain ni le pastel, et qu’il peint même encore quelquefois des singes. Il est certain pourtant que son talent s’est élargi et élevé avec l’âge et les études, et que si, après avoir marqué la place et la valeur relative de ses dessins, de ses lithographies, de ses caricatures, de ses travestissemens, on s’occupe d’abord de ses tableaux où l’architecture domine, puis de ses ouvrages de genre proprement dit, pour passer au paysage, qui révèle