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nos destinées, cessèrent d’attirer tous les yeux, et les voix libres et longtemps solitaires de Chateaubriand et de Mme de Staël trouvèrent de nombreux échos. Un mouvement littéraire, dont l’ardeur et la fécondité nous étonnent aujourd’hui, préoccupa de nouveau tous les esprits. Un mouvement semblable se fît dans les arts. Quelques imaginations puissantes poursuivirent par des chemins différens l’art élevé, et complètent aujourd’hui leur œuvre. D’un autre côté, des jeunes gens aventureux, pleins d’ardeur, légers de bagage et ne craignant pas les hasards, se précipitèrent en foule dans les directions les plus diverses. Le seul but qu’ils se proposassent en commun était de faire autre chose que ce qui avait été fait avant eux. Le plus grand peintre du siècle, Géricault, quoique leur aîné, était dans leurs rangs. Il mourut à la fleur de l’âge, plein de pensées, d’espérance et de génie.

Seul, Géricault eût pu, par l’ascendant de son exemple et l’autorité, que donnent la force et la conviction, diriger sûrement la jeune génération sur une route nouvelle. Pénétré de l’esprit des maîtres, mais n’en suivant aucun servilement rejetant les entraves des traditions, dont il n’avait gardé que la somme de savoir et d’expérience qu’elles conservent pour légitime patrimoine à tout artiste, il rendit à la peinture la vie que l’école précédente avait laissés tarir. Son audace, sa fougue, son goût pour les sujets modernes auraient rallié autour de lui le gros de tous les partis Agissant sur les peintres de style par ses cavaliers, son Naufrage de la Méduse et les grands ouvrages qu’il méditait, sur le genre et le paysage par ses tableaux plus modestes, son Four à plâtre, ses études de chevaux, ses lithographies, il aurait créé une peinture moderne et nationale. Le temps lui manqua. La jeune école se trouva ainsi privée de son chef naturel, que Sigalon, mort également très jeune, ne pouvait qu’imparfaitement remplacer. Ayant à dos la peinture épuisée de l’empire qu’ils fuyaient, à droite et à gauche les traditions vénitiennes et romaines personnifiées dans deux peintres déjà célèbres, ces enfans perdus de l’art marchaient devant eux un peu à l’aventure. Plusieurs sont restés en route, et n’ont pas tenu des promesses qui ne leur avaient été faites que par leur audace et leur ambition ; mais, les vivans payant pour les morts, ils ont créé une peinture, qui a son caractère propre, dépendant du genre, quoiqu’elle s’en écarte à bien des égards, et dont le caractère et l’originalité ne peuvent être méconnus.

C’est de cette jeune et aventureuse école qu’est sorti M. Decamps. Il dépassa de bonne heure et de beaucoup ses émules, mais son œuvre porte des traces manifestes et nombreuses de cette irrégulière origine, et ce n’est que par des prodiges de travail et de bon sens