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d’ailleurs des tableaux de petite dimension, minutieusement achevés, et qu’on pût regarder de près. Des gens qui ne voyaient guère au-delà de leur horizon borné devaient demander à leurs peintres la reproduction des scènes qu’ils avaient habituellement sous les yeux, et là, comme ailleurs, les arts peuvent servir de commentaire pour expliquer les mœurs.

La renaissance française, si originale, si vivante, si déplorablement interrompue et précipitée, sous François Ier, dans une décadence précoce par l’invasion des peintres italiens, ne présente point d’ouvrages d’art qu’il soit possible de rapporter au genre. Le XVIIe siècle ne le connut pas davantage. Le défaut dominant de cette époque n’est certes pas la petitesse, mais plutôt l’enflure et l’emphase, la grandeur conventionnelle et l’apparat. Watteau, il est vrai, commença à peindre pendant les dernières années du règne de Louis XIV, mais il appartient à la régence par le plus grand nombre de ses œuvres. D’ailleurs le peintre des Fêtes galantes avait une originalité de conception et une largeur de facture qui ne permettent pas de le confondre avec ses imitateurs. Il me rappelle Hamilton, dont il a la vivacité, la grâce voluptueuse, l’élégance et le goût.

Au XVIIIe siècle, tout change. Une société élégante, sceptique, devait avoir un art à son image, et elle l’eut. À Nicolas Poussin succède Boucher, à Lesueur Pater et Lancret. Si j’avais à étudier la peinture de cette époque, je relèverais des qualités excellentes dans des ouvrages qui, en d’autres mains, n’eussent été que libertins. La distinction fait presque oublier la futilité des sujets, et l’élégance atténue jusqu’à un certain point la portée de l’intention. Je pourrais surtout les montrer, comme un reproche, à plusieurs de nos peintres contemporains qui s’obstinent, par un anachronisme sans motif, à représenter, en plein XIXe siècle, les scènes, les costumes et jusqu’aux manières et aux grimaces d’un autre temps, sans penser que le talent et l’adresse sont impuissans à réchauffer des sujets qui n’ont plus de raison d’être et que tous les efforts d’étude et d’imagination ne leur feront retrouver ni la vivacité et la grâce, ni le sentiment de réalité que leurs devanciers ont mis à un si haut degré dans la représentation de scènes qu’ils avaient sous les yeux.

Le débordement de mauvais goût qui avait marqué la régence et la plus grande partie du règne de Louis XV sembla cependant s’arrêter, frappé de mort par ses propres excès. Une science sans effort, un goût exquis, une couleur forte et charmante, toutes les qualités qui peuvent se trouver réunies dans des ouvrages d’ordre moyen distinguent les scènes d’intérieur et les natures mortes de notre admirable Chardin. Je ne connais guère de tableau mieux senti, plus