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d’amour et de respect que Krichna recevait des habitantes de Mathura.


II.

Ces deux légendes ne sont-elles pas empreintes d’un caractère vraiment religieux et d’un sentiment élevé de la puissance et de la bonté divines ? Le dieu qui a rendu la beauté à une pauvre femme difforme n’est plus la divinité sévère, inaccessible, qui a imposé aux peuples hindous la domination des brahmanes. Incarné une première fois dans la personne de Râma, qui devait accomplir dans la presqu’île indienne une mission héroïque et civilisatrice, Vichnou s’est montré jadis sous la forme d’un dieu protecteur de la race aryenne en général. S’il a consenti à descendre sur la terre, c’était pour détruire les monstres qui résistaient encore aux nouveaux habitans de l’Inde. Sous les traits et dans la personne de Krichna, le même dieu se manifeste sans voiles ; compatissant envers chaque homme en particulier, il daigne relever même la femme que les lois brahmaniques condamnent à un état constant d’infériorité. N’y a-t-il pas là un grand pas de fait vers le dogme de l’égalité des créatures devant le créateur ? On dirait aussi que le brahmanisme a abdiqué ses préjugés et sa prétention à occuper le premier rang dans la société indienne. La vie de Krichna offre une foule de légendes gracieuses qui semblent faire croire que l’esprit de caste tend à s’effacer, et qu’il suffit de croire pour être sauvé, n’eût-on jamais étudié sous la direction des docteurs une seule ligne des textes sacrés. Au fond cependant, ce sont toujours des brahmanes qui parlent ; seulement ceux qui tiennent pour la secte de Vichnou ont fait appel aux sentimens plus doux qui peuvent leur concilier l’affection du plus grand nombre, afin de mieux combattre leurs adversaires. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à suivre les détails de la vie de Krichna dans ce qu’elle a de purement humain.

Dès qu’il entre en lutte contre Kans, le doux et tendre héros se trouve réduit aux proportions d’un personnage brutal, passionné, violent. Il commettra bien de vilaines actions ; qu’importe ? il sera l’ennemi des civaïtes, et la postérité reconnaissante devra poser sur son front la divine auréole. Le bien et le mal se réduisent à ceci : haïr les méchans, aimer les bons ! Ceci posé, les sectaires racontent avec une égale édification tout ce qu’a accompli durant sa longue vie le héros capricieux dont ils ont fait un dieu. Après avoir été un enfant espiègle et mutin, Krichna est devenu un vigoureux garçon, aux allures à demi sauvages. Habitué à assommer les ogres qui lui ont fait la guerre pendant si longtemps, il tue d’un coup de poing certain lutteur envoyé par Kans pour l’écraser. À peine arrivé sous