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tous les obstacles et déjoué tous les pièges, il l’envoie inviter à se rendre dans sa capitale, où de grands jeux seront célébrés.

Jusqu’ici Krichna n’a été connu, aimé et adoré que par les simples habitans de la forêt Vrindavan ; son culte, inauguré dans la campagne, va bientôt pénétrer dans les villes. Le héraut chargé de convier le jeune prince et les bergers, ses compagnons, aux fêtes royales, se nomme Akroura (non cruel). Il est parent de Krichna à un proche degré, mais dévoué aux intérêts du roi Kans. Sans être pervers par nature, — son nom l’indique, — Akroura suit les mauvaises doctrines, et vit au milieu des ténèbres de l’erreur sans même se douter que la vérité brille si près de lui. Le voilà qui marche vers le petit pays de Vrindavan, tout occupé du message dont il est porteur, rêvant avec distraction à celui qu’il va chercher pour le conduire à Mathura. Cependant il a reçu bon accueil des chefs des bergers et de Krichna. Celui-ci l’accompagne, et pendant qu’ils font route sur le même char, la rêverie d’Akroura, devenue plus profonde, le conduit bientôt à la méditation. Les passions s’apaisent dans son âme, l’orgueil se retire de son esprit ; il redevient pareil à l’enfant docile qui ne sait qu’obéir à la voix paternelle. Toujours plongé dans une méditation intense, Akroura s’arrête sur les bords de la Djamouna pour y faire des ablutions, car il est pieux et fidèle aux pratiques religieuses. Après avoir lavé ses pieds et ses mains, il entre dans l’eau en fermant les yeux, et c’est alors qu’il voit avec les yeux de l’intelligence l’image divine de Krichna sous les traits du Seigneur de l’univers. Subitement éclairé par cette apparition merveilleuse, Akroura chante les louanges du dieu qu’il avait trop longtemps, méconnu ; il a vu, il a compris, il croit !

Avant d’arriver à Mathura, Krichna a converti l’un des grands personnages de la cour qui l’avait abordé avec des sentimens hostiles. À peine entré dans les murs de la ville, il manifestera sa divinité par un miracle d’un autre ordre. Une femme horriblement contrefaite, esclave du roi Kans, s’avance au-devant du jeune héros ; elle répand des parfums sur son corps, en le suppliant de daigner visiter son humble demeure : « J’irai, répond Krichna, j’irai, je vous le promets, dès que j’aurai brisé l’arc de Civa[1]. » En parlant ainsi, il prend la main de la pauvre bossue, pieusement agenouillée à ses pieds, et lui dit avec une autorité souveraine : « Relève-toi, droite dans ta taille, belle dans tous tes traits, gracieuse dans toute ta personne !… » Ainsi fut récompensé, par le don de la beauté, le plus précieux pour une femme, le premier témoignage

  1. Ce qui signifie en réalité : lorsque j’aurai tué le roi Kans, qui protège la secte de Civa et lui donne sa force.