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lui furent ouverts, et un jeune officier poussa la courtoisie jusqu’à vouloir lui faire accepter un magnifique logement dans l’hôtel de sa mère. Cette dame, qui joignit ses prières aux sollicitations pressantes de son fils, était fort considérée à Odessa ; elle n’était pas sans ambition littéraire et avait écrit des vers fort goûtés de la noblesse qui fréquentait ses salons. Le lieutenant avait fini par accepter l’offre de la noble muse, mais il n’en put guère profiter, car il fut échangé peu de jours après. Pour reconnaître toutes les bontés et les soins maternels dont on l’avait entouré, il adressa de Kamiesh à Odessa un compliment versifié, sous la forme d’une fable, où l’œillet rose dialoguait poétiquement avec le myosotis. — C’était hardi, mais il se dit que la bonne intention excuserait le manque de talent, et il n’hésita pas. Je ferai grâce au lecteur de l’essai poétique du lieutenant qui me fut communiqué. Je n’ai pas su si le bas bleu d’Odessa lui avait répondu ; mais j’ai pu lire de la noble dame quelques vers écrits de sa main sur un carnet sans trop de fautes d’orthographe. On me pardonnera de n’en citer que le trait final :

Je cherche vainement une énergique image
Pour peindre la valeur d’un peuple redouté ;
Je ne trouve que sa gaîté
De comparable à son courage.

L’ordre donné aux trois batteries flottantes de se mettre en branle-bas de combat vint nous surprendre un beau matin au milieu de ces promenades et de ces causeries. Les suppositions marchèrent grand train : les projets de l’amiral et du commandant en chef de l’armée restèrent inconnus. Une inaction de huit jours nous avait paru longue ; aussi la joie que nous éprouvâmes de la voir cesser se joignit-elle à notre surprise et à nos désirs parfaitement légitimes de connaître enfin la destinée qui nous était réservée.

Un branle-bas de combat se fait à bord d’un bâtiment ordinaire en l’espace de quelques minutes ; — à bord d’une batterie flottante, il prend des proportions gigantesques. Il faut la dégréer complètement, — lui enlever sa mâture, le tuyau de la machine, les panneaux qui constituent les bastingages, etc., — blinder les claires-voies et toutes les ouvertures communiquant avec le faux pont, — démonter la barre du gouvernail et changer les drosses pour gouverner de l’intérieur même du bâtiment ; ne pas laisser une des cloisons des emménagemens debout ; mettre en un mot le navire en état de répondre exactement à sa dénomination de batterie flottante.

Pendant qu’on dressait à terre une tente pour ces objets encombrans et inutiles de notre matériel, que nos marins, maçons-architectes,